Sus la Talvera, En Marge, Carles Diaz (par Philippe Chauché)
Sus la Talvera, En Marge, Carles Diaz, Editions Abordo, juillet 2019, Préface, trad. occitan Joan-Pèire Tardiu, 64 pages, 14 €
« Je suis sur le papier un croquis. La paille en désordre qui flambe. Le foin que les fermiers ont brûlé. La cendre dispersée qui retient la Hauteur captive. Cette bordure des champs qu’on ne cultive pas et qui en Occitanie s’appelle : la talvera ».
« Soi sul papièr un escapol. La palha escampilhada que flamba. Lo fen que los bordiers l’an cremat. Lo cendre espargit que reten la Nautor captiva. Aquel bòrd de las pèças que se laura pas e que’n Païs d’Òc se ditz : la talvera ».
La poésie, cet éclat musical est une affaire de langue. Ici elles sont deux, la langue d’Oc et la langue de France. Deux langues qui s’accordent, et se répondent, l’une enfante l’autre, l’autre fait entendre la première, « Une langue unique ne suffit jamais pour habiter le monde… ». Carles Diaz en possède au moins deux, celle de son origine, l’espagnol du Chili, « j’ai traversé le mutisme des Andes », et celle de son adoption littéraire et géographique, le français.
En Marge est un dialogue entre deux langues, entre des sons, des résonnances et des accents. C’est une belle aventure poétique entre Joan-Pèire Tardiu et Carles Diaz. Au centre de la « Marge, ce bout de terre essentiel, à partir duquel le labour va pouvoir s’accomplir » (Joan-Pèire Tardiu), le verbe, « la langue sacrifiée, dynamitée dans le silence, Mille vies (qui) s’embrasent…, la griserie de paysages natifs… ». Cet espace de l’entre deux, entre deux sillons, deux terres, inspire le poète, avant qu’il ne laboure sa feuille, n’y trace son sillon poétique. Ne creuse la langue, comme un paysan sa terre, avec la régularité métrique d’une charrue, qui gratte et creuse comme la langue d’Oc sonne comme un soc, qui frappe l’angle d’une pierre enfouie.
« Le chant, pareil aux vagues, n’est qu’un point de fuite vers les profondeurs du silence ; là-bas où la mer a creusé sa patrie d’inflexibles mystères ».
« Lo cant, coma las ondadas, es pas qu’un punt de fugida cap a las pregondors del silenci ; enlai, que la mar i a cavat sa patria de mistèris inflexibles ».
Carles Diaz et Joan-Pèire Tardiu écrivent de la lande, où naissent les rumeurs du monde, les langues perdues, les hommes égarés ou jetés sur les flots. Ils écrivent de la grève face à l’océan, où échouent les bois flottés, d’une clairière, et leur parole réveille les langues disparues, et éclaire les corps brisés. Il suffit de se souvenir de l’Odyssée gasconne de Bernard Manciet (1), le passeur, l’ermite, l’éclaireur des Landes, qui lui aussi écrivait porté par les roulements de la langue, et les éclats coupants du monde, alors que sonnait le tocsin et les cloches de Sabres : « je te fais Soleil tourner comme le lait / j’ai le bras rouge / tu es mes larmes / soleil de Sabres le plus rouge / que j’enterre dans mes midis / ». Carles Diaz et Joan-Pèire Tardiu continuent à creuser cette veine aux éclats d’or, la langue passée au tamis des orpailleurs, pour n’en garder que sa poétique matière.
Philippe Chauché
(1) L’Enterrement à Sabres, Bernard Manciet, édition établie par Guy Latry, Mollat, 1996
Carles Diaz vit, écrit et travaille à Bordeaux (historien de l’art, chercheur dans le domaine de la culture et de l’art de la seconde moitié du XIX° siècle). On lui doit La Vénus encordée (Ed. Poesis), Tentative verticale (Abordo), Le Fleuve à l’envers (Abordo).
Joan-Pèire Tardiu est poète en langue d’oc, traducteur, ancien rédacteur en chef de la revue Oc. Il a publié de nombreux recueils dont Jorns Dorbèrts (E.O.E.), Las quatre rotas (Fédérop) et La nusor susor (Jaunes Privat).
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