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Survivants, Russell Banks

Ecrit par Didier Smal 01.06.15 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Babel (Actes Sud), Roman, USA

Survivants, traduit de l’américain par Pierre Furlan, 256 pages, 7,70 €

Ecrivain(s): Russel Banks Edition: Babel (Actes Sud)

Survivants, Russell Banks

 

En 1975, Russell Banks (1940) voit quelques-unes de ses nouvelles réunies sous un très beau titre : Searching for Survivors, Survivants en français (une nuance est perdue, mais elle n’est pas essentielle) ; il n’est pas encore l’auteur majeur de Continents à la Dérive, De Beaux Lendemains ou encore American Darling, mais la qualité de ces romans incite l’amateur à se pencher avec bienveillance sur ces œuvres de jeunesse. Cet amateur est récompensé de sa curiosité : Banks, alors trentenaire, affiche une claire maîtrise de l’art narratif, même lorsqu’il fait ses gammes.

Une caractéristique que possède déjà Banks au plus haut point, c’est l’empathie envers ses personnages : peu importent leurs faiblesses, leurs défauts, la façon dont ils ont mené leur existence, aucun jugement n’est posé sur eux. Banks décrit des agissements, des comportements, rapporte des paroles, mais ne s’institue pas en petit comptable de l’existence de ses personnages ; cet art, il le portera à la perfection avec le Bob Dubois de Continents à la Dérive, mais c’est littéralement une autre histoire.

Puisque nous évoquons Bob Dubois, une autre caractéristique de la façon de raconter de Banks est déjà présente dans les nouvelles de Survivants : la capacité à montrer de chaque destinée individuelle la portée universelle potentielle. Ainsi des désillusions de Janet dans la très belle nouvelle Le Che à Kitty Hawk :

« Elle refusait de croire que sa vie allait être tous les jours comme ça ; elle ne voulait pas le croire et pourtant elle était tout aussi incapable de le nier, à présent : une vie entière où elle se réveillerait chaque jour pour trouver des canapés et des fauteuils humides imprégnés d’odeurs, une maison avec des pièces encombrées de meubles, des repas à préparer, pour elle, pour ses enfants, des cendriers à vider, des cigarettes à fumer pour remplir encore les cendriers, des ciels gris et trempés, des oiseaux puants à la recherche d’ordures, et ainsi de suite toute la journée, encore des repas, encore des choses à salir et à nettoyer ensuite, jusqu’à la nuit où, à l’aide de somnifères ou d’alcool, elle endormirait son corps pendant huit ou dix heures avant de tout recommencer le lendemain. Ce n’était pas qu’elle crût qu’il n’y eût rien d’autre que ça. Non, c’était plutôt qu’à présent elle comprenait que même s’il existait autre chose, elle n’échapperait jamais à ça ».

Janet est, à certains égards, l’archétype du personnage de Banks : ce personnage qui voudrait tant échapper à sa condition fait parfois tout pour y arriver, mais s’y retrouve finalement enfermé sans amertume aucune ; comme si Banks voulait dire : l’important n’est pas tant d’échapper à son sort, à la vie que l’on s’est dessinée, que de tenter le maximum pour s’en écarter un tant soit peu.

D’un autre côté, Banks fait ses gammes dans ses premières nouvelles, comme indiqué ci-dessus. Du point de vue narratif, il s’essaie à des changements de points de vue en cours de récit, passant de la troisième à la première personne avec succès : on sent bien la tentation moderniste, le petit péché de jeunesse, mais ces changements, présents dans deux ou trois nouvelles, se font sans affectation et ne nuisent en rien à la fluidité du récit. Il y a aussi, toujours du point de vue narratif, des tentatives quasi amusantes de mélanger les genres, un chapitre de la nouvelle A la Recherche de Survivants (II) étant ainsi présenté sous une forme scénaristique – à nouveau, cela passe dans le récit… Du point de vue stylistique, Banks s’essaie avec Le Mensonge au récit à la limite entre le policier (pour la froide objectivité malgré l’horreur de ce qui est raconté) et la philosophie (pour le sens à donner à cette horreur) ; un peu plus loin, avec La Mascarade, il s’essaie à la politique-fiction avec une forte influence d’Edgar Allan Poe.

Mais partout ailleurs dans Survivants, grosso modo, on trouve déjà, en germe ou pleinement éclos, tout ce qui fait l’élégance, la puissance et la sérénité apparente des futurs romans de Russell Banks, cette façon de capturer, dans une phrase ample et classique, l’essence d’un comportement, d’une attitude sans jamais se faire complice hautain du lecteur : quiconque lira la nouvelle Le Voisin, aux personnages pourtant aisément ridiculisables, comprendra à quel point Banks a du respect pour ses personnages, tous, sans exception. Et c’est en grande partie pour cette raison qu’il est un des plus grands romanciers actuels. Tout court. Inutile d’ajouter « américain », puisque, comme indiqué ci-dessus, les destinées individuelles qu’il raconte touchent à l’universel.

 

Didier Smal

 


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A propos de l'écrivain

Russel Banks

Né en 1940 en Nouvelle-Angleterre, en 1998 il a été nommé membre de l'American Academy of Arts and Letters. De février 1998 jusqu'à 2004, il succède à Wole Soyinka en devenant le troisième président du Parlement international des écrivains créé par Salman Rushdie. Auteur d'American Darling, Affliction, De beaux lendemains...


A propos du rédacteur

Didier Smal

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Didier Smal, né le même jour que Billie Holiday, cinquante-huit ans plus tard. Professeur de français par mégarde, transmetteur de jouissances littéraires, et existentielles, par choix. Journaliste musical dans une autre vie, papa de trois enfants, persuadé que Le Rendez-vous des héros n'est pas une fiction, parce qu'autrement la littérature, le mot, le verbe n'aurait aucun sens. Un dernier détail : porte tatoués sur l'avant-bras droit les deux premiers mots de L'Iiade.