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Superman est arabe, Joumana Haddad

Ecrit par Cathy Garcia 13.04.13 dans La Une Livres, Sindbad, Actes Sud, Les Livres, Recensions, Moyen Orient, Roman

Superman est arabe, traduit de l’anglais par Anne-Laure Tissut, février 2013, 232 pages, 20 €

Ecrivain(s): Joumana Haddad Edition: Sindbad, Actes Sud

Superman est arabe, Joumana Haddad

 

Joumana Haddad, dans la continuité de J’ai tué Shérazade, nous donne à lire un pamphlet aussi réfléchi que passionné, bouillonnant, à la fois très personnel dans la forme : truffé de citations qui soulignent les propos, elle alterne faits, pensées, coups de gueule, récit, poésie, témoignages – et d’une nécessité universelle vitale dans le fond.

Ce livre sous-titré « De Dieu, du mariage, des machos et autres désastreuses inventions » est une attaque en règle contre le système patriarcal qui sévit dans le monde arabe mais pas seulement, loin de là. Un système qui s’enracine ici dans les trois religions monothéistes, avec tout ce qui en dérive : machisme, discrimination, violence, assassinat, privation de liberté et qui, si les femmes en sont les victimes directes, n’épargne pas non plus les hommes, qui se doivent d’adopter certains comportements, qui ne font que camoufler en vérité un profond malaise, des peurs et un sentiment d’insécurité non affrontés de face et qui surtout les empêchent d’accéder à la totalité de leur être et donc à leur propre liberté.

« (…) il m’apparut un jour comme une évidence que ce monde, et en particulier les femmes, n’avait que faire d’hommes d’acier. Ce qu’il leur fallait c’était des hommes véritables. (…) Des hommes qui ne se croient pas invincibles, qui n’ont pas peur de dévoiler leur côté vulnérable, qui ne cachent pas, que ce soit à vous ou à eux-mêmes, leur véritable personnalité. Qui n’hésitent pas à demander de l’aide quand ils en ont besoin. Qui sont fiers que vous les souteniez comme ils sont fiers de vous soutenir. Des hommes qui ne s’identifient pas à la taille de leurs pénis ou à l’abondance de leur pilosité. Des hommes qui ne se signifient pas par leur performance sexuelle ou par leurs comptes en banque. Des hommes qui vous écoutent vraiment, au lieu de vous venir en aide avec condescendance. Des hommes véritables, qui ne se sentent pas humiliés ou castrés parce que, de temps à autre, ils peinent à obtenir une érection. De vrais hommes qui discutent avec vous de ce qui est mieux pour tous deux au lieu de dire, sur un ton arrogant : “Laisse-moi m’en occuper !”. (…) des hommes qui partagent avec vous leurs problèmes et leurs préoccupations, au lieu de s’obstiner à tenter de tout résoudre tout seuls. Des hommes qui, en un mot, n’ont pas honte de vous demander la direction à suivre, au lieu de prétendre tout savoir, souvent au risque de se perdre ». D’où le titre, Superman est arabe.

« (…) le vrai problème, c’est que ceux qui adhèrent à cette idée de Superman sont convaincus d’en être l’illustration. Et leurs actes sont en conformité avec cette conviction. Et c’est là que tout commence à dérailler. C’est là que les leaders se révèlent être des despotes, les patrons des esclavagistes, les croyants des terroristes et les copains des tyrans. Leur formule favorite c’est : Je sais mieux que toi ce dont tu as besoin ».

Mais la perpétuation d’un système patriarcal dépassé n’est pas seulement de la responsabilité des hommes.

« (…) Mais, s’il nous faut supporter l’existence de Superman, il n’est pas le seul à blâmer. N’oublions pas que ce sont des femmes qui ont pourvu à son éducation. Des mères ignorantes, des petites amies superficielles, des filles complaisantes, des sœurs qui se posent en victime, des épouses passives, et ainsi de suite ».

C’est pourquoi il s’agit d’un combat qui doit impliquer les hommes autant que les femmes, car c’est toute l’humanité qui doit évoluer, et non pas hommes contre femmes ou vice et versa, mais bien les deux ensemble pour le profit de tous. C’est ce que Joumana Haddad appelle le féminisme de la troisième vague et qui est la suite des premières vagues, nécessaires, mais elles aussi, aujourd’hui, dépassées. Il s’agit de sortir de la logique de guerre des sexes, pour entrer dans un partenariat évolué, libre et libérateur, où chacune et chacun se retrouve en tant qu’individu, avec ses particularités propres et toute sa dignité, dans des relations de réciprocité clairement choisies.

Joumana Haddad nous parle de l’amour, du sexe, de la fidélité, de l’image que la femme est censée donner à la société, qu’elle ait entièrement disparu sous une burqa ou soit entièrement nue sur du papier glacé, elle nous parle du mariage, de la vieillesse, de religion et de politique. Elle s’implique dans tout ce qu’elle défend avec une sincérité décapante, crue diront certains qui ne s’habituent toujours pas à ce que les femmes puissent l’être, et elle conserve un sens de l’humour salvateur, car ce combat est loin d’être facile.

« J’ai toujours farouchement évité de jauger ma valeur dans le regard des autres parce que c’est cela, le véritable adultère : c’est se trahir soi-même ».

Sa position de Libanaise, issue d’une famille catholique, la place au centre même de l’hydre monothéiste tricéphale. D’ailleurs au sujet des femmes, le catholicisme et le judaïsme n’ont rien à envier aux intégrismes islamiques. Il faut donc du courage et de la verve, et elle ne manque ni de l’un, ni de l’autre, d’autant plus que malgré un grand succès à l’étranger, elle a choisi de rester vivre au Liban pour distiller sa parole de l’intérieur. Elle nous offre avec chaleur et générosité une ode, provocante si besoin, à la vie et à la liberté, où la poésie, plus qu’un art de vivre, est l’art d’être vivant.

Joumana Haddad s’exprime avec force pour celles, mais aussi ceux, qui ne le peuvent pas, et si chacune et chacun, avec sa sensibilité propre, ne se retrouvera pas forcément dans tous ses propos, il va de soi que ce livre est un bon coup de pied dans une fourmilière non seulement poussiéreuse mais aussi extrêmement active et toxique pour l’humanité.

« C’est la guerre des sexes, me direz-vous. Ne serait-ce pas plutôt le moment de déclarer le match nul et de nous remettre en question ? »

 

Cathy Garcia


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A propos de l'écrivain

Joumana Haddad

 

Joumana Haddad est née le 6 décembre 1970 à Beyrouth. Elle dirige les pages culturelles du quotidien An-Nahar, ainsi que le magazine Jasad (Corps), qu’elle a fondé en 2009. Journaliste et traductrice polyglotte, elle a interviewé de grands écrivains comme Umberto Eco, Wole Soyinka, Paul Auster, José Saramago et Mario Vargas Llosa. Poétesse, elle a publié cinq recueils, dont Le Retour de Lilith (Babel n° 1079), pour lesquels elle a reçu divers prix, notamment le prix de la fondation Metropolis bleu pour la littérature arabe (Montréal, 2010).

 

Publications en arabe :

Invitation à un dîner secret, poésie, Éditions An Nahar, 1998

Deux mains vouées à l’abîme, poésie, Éditions An Nahar, 2000

Je n’ai pas assez péché, poésie, Éditions Kaf Noun, 2003

Le Retour de Lilith, poésie, Éditions An Nahar, 2004

La Panthère cachée à la naissance des épaules, poésie, Éditions Al Ikhtilaf, 2006

En compagnie des voleurs de feu, entretiens avec des écrivains internationaux, Éditions An Nahar, 2006

La mort viendra et elle aura tes yeux, 150 poètes suicidés dans le monde, anthologie poétique, Éditions An Nahar, 2007

Mauvaises Habitudes, poésie, Éditions ministère de la culture égyptienne, 2007

Miroirs des passantes dans les songes, poésie, Éditions An Nahar, 2008

Géologie du Moi, poésie, Arab Scientific Publishers, 2011

 

Publications et traductions en français :

Le temps d’un rêve, original en français, Poésie, 1995

Le Retour de Lilith, traduit par Antoine Jockey, Paris, Éditions L’Inventaire, 2007/ Nouvelle édition 2011 chez Actes Sud, Paris

Miroirs des passantes dans le songe, traduit par Antoine Jockey, Paris, Éditions Al Dante, 2010

J’ai tué Shéhérazade. Confessions d’une femme arabe en colère, traduit par Anne-Laure Tissut, Arles, Actes Sud, 2010

Les amants ne devraient porter que des mocassins, original en français, littérature érotique, 2010, Éditions Humus

Superman est arabe, traduit par Anne-Laure Tissut, Arles, Actes Sud, 2013

 

A propos du rédacteur

Cathy Garcia

 

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Rédactrice

Domaines de prédilection : littérature française et étrangère (surtout latino-américaine & asiatique)

Genres : romans, poésie, romans noirs, nouvelles, jeunesse

Maisons d’édition les plus fréquentes : Métailié,  Actes Sud

 

Née en 1970 dans le Var.

Premier Prix de poésie à 18 ans. Premiers recueils publiés en 2001.

A Créé en 2003 la revue de poésie vive NOUVEAUX DÉLITS. http://larevuenouveauxdelits.hautetfort.com

Fin 2009, elle fonde l’association NOUVEAUX DÉLITS :

http://associationeditionsnouveauxdelits.hautetfort.com/

Plasticienne autodidacte, elle compose ce qu’elle appelle des gribouglyphes,  mélange de diverses techniques et de collages. Elle illustre plusieurs revues littéraires et des recueils d’autres auteurs. Travail présenté publiquement depuis fin 2008 et sur le net :

http://ledecompresseuratelierpictopoetiquedecathygarcia.hautetfort.com

Elle s’exprime aussi à travers la photo, pas en tant que photographe professionnelle, mais en tant que poète ayant troqué le crayon contre un appareil photo : http://imagesducausse.hautetfort.com/ Ce qui  a donné lieu à trois Livr’art visibles sur internet dans la collection Evazine :

http://evazine.com/livre_art.htm