Sunset Park, Paul Auster
Sunset Park, septembre 2011, 320 pages, 22,80 €
Ecrivain(s): Paul Auster Edition: Actes SudIl paraît bien loin le temps des livres majeurs. De ces œuvres qui marquent durablement, comme Paul Auster en a publié entre la fin des années 80 et le début des années 90. Un âge d’or, une période de grâce, avec des livres comme Cité de verre, La Chambre dérobée, Leviathan ou La Musique du hasard. Et puis, il y a ensuite comme une cassure, qu’on pourrait dater de l’époque de Smoke, le film (d’ailleurs fort charmant et habile) dont Paul Auster signa le scénario pour Wayne Wang. Est-ce que le cinéma a dynamité la verve créatrice de l’écrivain new-yorkais ? Car après cette première incursion avec lendemain, Paul Auster ne nous livra plus d’œuvres aussi mémorables. Il baissa d’un cran. Il alterna les ouvrages de bonne facture, mais qui n’atteignirent pas des sommets (La Nuit de l’oracle, Le livre des illusions), avec d’autres moyens, voire franchement médiocres (Tombouctou, Seul dans le noir).
Et Sunset Park, dans quelle catégorie est-il à ranger ?
Ça commence bien, même très bien, comme du bon Paul Auster. Le livre raconte l’histoire d’un homme, Miles Heller qui, rongé par la culpabilité après avoir provoqué la mort de son demi-frère, Bobby, a tout claqué. Il a abandonné ses études, quitté le domicile new-yorkais parental pour errer de petits boulots en petits boulots. Sept ans plus tard, il se retrouve à Miami, en Floride, à vider les maisons abandonnées en hâte par leurs habitants victimes de la crise des subprimes.
Miles est tombé amoureux d’une jeune fille d’origine cubaine. Mais parce qu’elle est encore mineure, elle n’a que dix-sept ans, il se retrouve victime d’un chantage et décide de rentrer sur New-York. Il trouve alors refuge dans une maison que squattent son ami Bing Nathan et deux femmes, dans le quartier de Sunset Park…
La première partie est du Paul Auster « tout craché ». Pour ceux qui aiment, on est en terrain familier. Tous les grands thèmes austériens sont convoqués : le doute, le passé, les hasards et coïncidences, New York, le base-ball…
C’est un bon cru qui s’annonce.
Mais… au bout d’une centaine de pages – la première partie – la mécanique se dérègle.
Paul Auster a toujours été brillant pour croquer ses personnages. C’est à une véritable biographie qu’il se livre à chaque fois. Il prend son temps, décrit des trajectoires, des systèmes de pensée, qui nous font comprendre pourquoi untel ou untel en est arrivé là.
Le problème, dans Sunset Park, c’est qu’une fois la situation de base posée, il n’y a presque plus que ça. Ce n’est pas inintéressant, loin de là, mais l’auteur abandonne peu à peu son histoire pour se consacrer uniquement à ses personnages, ou du moins à leur passé. Ils ne vivent plus dans le présent, l’intrigue s’écarte d’eux au fur et à mesure.
Le livre devient une juxtaposition de portraits. On aurait aimé moins de personnages, d’autant que certains se ressemblent un peu trop, vivent les mêmes choses au même moment (et les coïncidences deviennent un peu trop systématiques pour être crédibles).
Quand on a beaucoup lu et beaucoup aimé un auteur, on est sans doute plus sévère avec lui, on a moins de patience. On aimerait qu’il n’écrive que des ouvrages majeurs. Il y a encore des éléments dans ce livre qui permettent de garder espoir pour un prochain cru. Sunset Park a des qualités, certes, mais pour un auteur de la trempe de Paul Auster, on était en droit d’espérer mieux.
Yann Suty
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