Sukkwan Island, David Vann
Sukkwan Island (Gallmeister, 192 p. 21,70 €)
Ecrivain(s): David Vann Edition: GallmeisterUn père décide d’emmener son fils de 13 ans vivre dans la nature pendant un an. Il a acheté une cabane isolée dans une île sauvage au sud de l’Alaska, dans un paysage de mer et de montagnes. L’endroit est seulement accessible par bateau ou par hydravion. Le plus proche voisin se trouve à trente kilomètres.
Un père et son fils au milieu de la nature. Le pitch de Sukkwan Island, le premier roman de David Vann, présente quelques familiarités avec La Route de Cormac Mc Carthy.
(Une parenthèse sur La Route, le plus grand succès populaire et critique – il a obtenu le Prix Pulitzer – de son auteur. Certains ont parlé d’épure, mais comparé à ce que Cormac McCarthy a pu écrire par le passé – Suttree, Méridien de sang ou La Trilogie des confins – il conviendrait plutôt de pointer une certaine paresse. Cormac McCarthy a désossé son style, comme s’il n’avait livré qu’un scénario ou le squelette du roman qu’il voulait publier. Comme s’il était trop vieux et n’avait plus la force de se faire violence. Est-ce pour cette raison qu’il a décidé de vendre la machine à écrire sur laquelle il a signé tant de chef d’œuvres ?).
Sukkwan Island, donc, reprend le thème général de La Route, mais aussi le style du maître. David Vann singe Cormac McCarthy : tempo saccadé du phrasé, absence d’incise pour les dialogues, poids du paysage dans les descriptions. Mais peu importe cette similitude. Ce qui compte, c’est le résultat et Sukkwan Island s’avère un excellent livre. Un petit conseil : prévoyez du temps avant d’entamer la lecture, non pas que vous aurez envie de tourner une page après l’autre pour savoir ce qui se passe à la suivante, mais parce qu’il vous faudra un moment pour vous remettre de ce que vous allez prendre dans la tête.
Pour le père, vivre dans la nature est à la fois la réalisation d’un fantasme, mais aussi l’occasion de se reconstruire après deux mariages ratés et des démêles avec le fisc. Il pourra aussi (re)nouer une relation avec un fils qui a accepté le pari de cette vie à la Robinson un peu à contrecœur. Dans les premières pages du roman, les deux essayent de s’apprivoiser, mais aussi d’apprivoiser leur nouvel environnement et la vie qu’elle implique. Chasser, pêcher, ramasser du bois, s’approvisionner en vue du très rude hiver alaskien…
Alors que La Route suivait le père et le fils en chemin, Sukkwan Island se tient dans un même lieu, dans un environnement aussi beau qu’inquiétant. L’espace est immense, mais c’est pour mieux se concentrer sur les personnages. Il s’agit d’un huis-clos en pleine nature.
Dans La Route, la menace était extérieure, alors que dans Sukkwan Islan, elle s’installe progressivement à l’intérieur du « couple » père-fils. Le père se montre défaillant. Il a décidé de répondre à l’appel, mais sans s’y préparer suffisamment. Trop d’improvisations, trop d’oublis, trop de bévues et d’à peu près compliquent rapidement leur séjour. Petit à petit, le père apparaît déséquilibré. La nuit, il pleure, parle à son fils ou plutôt se confesse et lui raconte les fautes qu’il a pu commettre. Sa mère qu’il a trompée, les prostituées qu’il aime fréquenter. Il renverse le rapport père-fils, ce dernier se voyant obliger d’endosser un rôle et des responsabilités qui ne lui incombent pas.
Touche par touche, David Vann instille le malaise jusqu’à ce moment terrible qu’on ne peut pas révéler ici à la page 113.
Cette page 113 est un magnifique choc comme il est bon d’en recevoir de temps en temps en littérature. Mais le roman ne s’arrête pas là. On croit à un paroxysme alors que le cauchemar ne fait que débuter. Comme le dit l’un des personnages, chaque élément rend le suivant inévitable.
Cormac McCarthy n’a pas à regretter d’avoir vendu sa machine à écrire. Avec David Vann, la filiation est assurée.
Yann Suty
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