Stone Arabia, Dana Spiotta
Stone Arabia, Actes Sud, traduit (USA) par Emmanuelle et Philippe Aronson novembre 2013, 286 pages, 22,50 €
Ecrivain(s): Dana Spiotta Edition: Actes Sud
Nik est musicien. Il a toujours rêvé d’être une star, mais son audience n’a jamais dépassé un cercle très restreint. Ses fans ? Ce sont essentiellement sa sœur, Denise, et une poignée d’amis. Aujourd’hui, Nik approche de la cinquantaine et pourtant rien n’a changé. Ou presque. Il continue d’écrire des chansons, d’autoproduire ses disques. Le succès, il ne l’espère même plus. Il a depuis longtemps compris qu’il ne deviendrait jamais l’un de ces musiciens qui fait des étincelles sur scène. De toute façon, le succès, il l’a. A sa façon. Une façon très imaginative et qui fait de lui un personnage exceptionnel de roman.
Dès son plus jeune âge, Nik s’est en effet mis à rédiger des « Chroniques ». Dans ces pages, Nik est un musicien accompli. La gloire, le succès, tout est là. Tout ce qu’il a échoué dans sa vie réelle, il le réussit dans cette vie fictive. Il se construit une fausse existence. Il est son seul public. Il est son plus grand fan.
Jour par jour, pendant près de trente ans, il consigne l’histoire de ce double fantasmé. Il réalise une véritable somme qui retrace l’histoire de sa musique, de ses groupes, de ses albums. Il écrit sous plusieurs pseudos, se fait passer pour le président de son fan club, ou bien pour son ennemi juré, un critique. Il se glisse dans la peau de journalistes qui rendent compte de ses albums ou de ses prestations scéniques. Il met aussi en scène sa sœur, Denise, écrivant des fausses lettres à sa fille pour lui parler de son oncle rock star.
Nik est un personnage hors-normes. Dana Spiotta lui consacre les cent premières pages. C’est souvent enthousiasmant de suivre quelqu’un qui ne connaîtra jamais le succès, mais qui ne se résigne pas, veut continuer à profiter de sa passion à défaut d’en vivre. Et il a trouvé pour cela une parfaite garantie du succès : l’imagination.
La passion l’emporte sur tout, même s’il y a aussi un côté pathétique d’un homme qui se refuse à laisser derrière lui ses envies d’adolescent. L’adolescent qu’il a été, il l’est toujours à près de cinquante ans. Il gagne sa vie comme barman, n’a pas de vie de couple stable. Mais il ne veut pas tourner la page, il ne veut pas basculer dans le « camp » des adultes.
Malheureusement, il y a un contrepoint : la sœur, Denise. C’est elle qui narre l’histoire de Nik. Evidemment, elle est sinon son contraire, du moins beaucoup plus sage et raisonnée, plus ancrée dans le monde réel. Et peu à peu elle prend la place de son frère, comme si elle en avait assez de lui, comme s’il prenait trop de place dans son existence. Et il en prend trop. C’est toujours elle qui est là pour lui filer un coup de main. Elle s’endette pour qu’il puisse continuer à mener sa vie de musicien.
Le problème, pour le lecteur, c’est que Denise est nettement moins intéressante que son frère. C’est comme un problème d’ego. Le témoin en a assez de se cantonner à son rôle de témoin et veut se mettre en avant. Pourquoi pas. Mais il a alors intérêt à être au moins aussi intéressant que celui dont il relate l’existence. Ce qui n’est pas le cas. Le problème quand on attaque tout de suite par le morceau de bravoure, c’est que le reste souffre en comparaison et paraît bien dérisoire.
Stone Arabia propose une excellente idée de départ dont le traitement s’étiole peu à peu et qui fait alors se poser un certain nombre de questions. Le livre est-il à moitié réussi ou à moitié raté ? Comment exploiter sur le long une excellente idée de départ ? Ne fallait-il pas faire plus court et se concentrer sur Nik ?
Yann Suty
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