Stéphane Spach Photographe (par Charles Duttine)
Stéphane Spach Photographe / Editions l’Atelier Contemporain / Novembre 2022 / 334 pages / 35 €
Edition: L'Atelier Contemporain
Fixer des vertiges
Parcourir les photographies de Stéphane Spach, c'est découvrir un monde fait d'étrangetés, de surprises et d'éblouissements. Notre curiosité se voit piquée en allant d’une photographie à l’autre comme autant de révélations ou d’interrogations. Tout d'abord, il y a ce que nous ne voyons pas. Aucune représentation humaine, pas de portraits ni de scènes où l'être humain serait central. En revanche, les sujets saisis par le photographe sont des plus divers. Il y est question de scènes forestières (souvent hivernales), de clichés de plantes isolées, de cadavres d'oiseaux ou bien des intérieurs abandonnés, ou encore des objets usagés sous forme de séries (vieilles lampes-torches, couteaux rouillés…). Ces choses sont représentées comme autant de natures mortes ou de vanités dans la grande tradition picturale.
On est saisi, tout d’abord, par la beauté étrange de ces clichés, leur force, leur mystère et leur étrangeté. C'est une invitation à une contemplation silencieuse que nous conduit Stéphane Spach. Savoir regarder ces choses anodines ou ces rebuts, ou encore ces objets étonnants qui disent la beauté profonde de l'être et du monde. On pourrait se croire dans un cabinet de curiosités où l'œil est invité à l'étonnement. Le réel cesse alors d'être ordinaire même dans sa banalité. Le regard du photographe apporte une distance qui interroge le réel. Il incite à la concentration et à la condensation du regard, poursuivant une quête ou encore un parti-pris des choses. Il est question, en même temps, de percevoir et d’imaginer. Deux activités traditionnellement opposées mais ici réconciliées ; percevoir, en se faisant proche du réel, en absorbant le monde, mais aussi imaginer, en mettant le réel entre parenthèses, en choisissant de s’en absenter, en laissant libre cours à une rêverie active.
Des choses rouillées trouvées dans les tranchées de la Grande Guerre, des plantes fanées, des animaux morts, des nids abandonnés, voilà ce qui est souvent représenté par Stéphane Spach. Il n’y a rien de clinquant ni de brillant dans ce qui est saisi par le photographe qui semble ainsi nous conduire vers une métaphysique du donné, du mat et du rêche. Pourquoi toutes ces dépouilles dans l’univers de Stéphane Spach ? Serait-ce un goût du morbide ou un sens aigu de la déréliction ? Pourquoi aussi toutes ces séries comme s’il nous invitait à épuiser le réel en répétant le même ? Peut-être s’agit-il de saisir le temps qui passe, s'il est possible de fixer un tel vertige. Si la photographie est l’art de l’éphémère, elle est à même de capter le passage, de poursuivre le fuyant.
Dans les nombreuses séries qu’il nous propose, celle de nids, de feuilles piquées de trous, de grenades coupées en leur milieu, de lampes-torches, de multiples pistes nous font signe. S’agit-il de voir ces choses comme semblables ou comme toutes différentes ? S’agit-il d’études au sens musical du terme qui n’en finissent pas d’épuiser un thème ? S’agit-il de stimuler notre fantaisie en allant d’une forme à l’autre si proches et pourtant si dissemblables ? S’agit-il encore de nous raconter des histoires, des récits devant toutes ces planches proches entre elles et pourtant lointaines ? On n’en finit pas de s’interroger. Il y a du Leibniz chez notre photographe, lui qui invitait les jeunes marquises du XVII°, à tenter de trouver si elles le pouvaient, dans les parcs, des feuilles d’arbres semblables. Tâche impossible, la vie étant faite de diversité, de variété et de richesses pour qui sait observer.
On peut encore noter la poésie de ces photographies. Au-delà du sens qui nous interpelle, c’est notre sensibilité qui se voit effleurée. Ces images nous touchent au plus profond de nous. Les végétations, ces « espèces de tapisseries à trois dimensions » selon le mot de Ponge apparaissent dans toute leur plasticité. Des racines sur fond blanc disent leurs formes erratiques et tourmentées. Et certaines figures « grotesques » portent parfaitement leur nom. Toutes ces images sont parlantes, les photographies de Stéphane Spach nous disent beaucoup de choses, des choses secrètes que certaines expressions de poètes présents dans le livre ont su dire comme Philippe Jaccottet et Hubert Voignier ; elles disent « le gris confus », derrière les arbres au plus profond d’une forêt là où des ombres semblent « cherch[er] leur chemin », ou encore « la plantureuse vigueur » et « l’avènement brut » d’une touffe d’herbes.
C’est un livre surprenant dans le bon sens du terme qui est ici donné à voir. C’est également un ouvrage à la facture éditoriale très soignée comme toujours chez les Editions l’Atelier contemporain. On ajoutera que plusieurs courts essais ponctuent le livre nous aidant à cerner le monde mystérieux mais néanmoins envoutant des photographies de Stéphane Spach.
Charles Duttine
Stéphane Spach, photographe, travaille pour de grandes entreprises, notamment dans l’univers de l’architecture et du design, tout en pratiquant en parallèle son art. Il a notamment publié Le beau jour ou L’Alsace revisitée avec Patrick Bogner et Jean-Michel Maulpoix (Le Bateau de papier, 1996), Terres fertiles avec Gilles Clément (Les éditions de l’Imprimeur, 1999) ou Couteaux avec Philippe Fusaro (La Fosse aux Ours, 2001).
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