Stations (entre les lignes), Jane Sautière
Stations (entre les lignes), août 2015, 137 pages, 14,90 €
Ecrivain(s): Jane Sautière Edition: Verticales
Transports en commun
Jane Sautière ne raconte pas, ne signe pas de romans (cela fait du bien en septembre) ; elle écrit. Elle écrit et elle dé-crit en blocs et en blancs, la fragmentation des espaces que nous traversons en train, en métro, en bus, en RER, en avion. Le mot stations du titre rend compte à la fois d’un itinéraire (aller au travail ou rentrer chez soi) mais aussi d’un arrêt, d’une pause. Le volume s’articule tout entier dans la discontinuité : des parties numérotées, des titres, des parenthèses y compris dans le titre et en cela, il tient ses promesses poétiques de la forme brève. Le texte d’ailleurs au fil des pages se défait de ses dernières attaches autobiographiques et temporelles. Ouverture sur les lieux de l’enfance et les déménagements successifs, le retour en France, après des séjours à l’étranger, au passé composé ou à l’imparfait (Franconville-La Garenne-Colombes). Jane grandit, devient adulte et entre dans la vie professionnelle, celle du monde pénitentiaire et carcéral en changeant de poste, quittant la région parisienne pour celle de Lyon et revenant à Paris. Le texte bifurque en quelque sorte vers une totale liberté formelle (p.45), « ICI » dans la délivrance des activités, du métier : « Maintenant je ne travaille plus ».
Règne des mots et de leur balancement ; ainsi Metro (p.49) développe six lignes de phrases nominales :
Bruits du métro : sifflements, raclements, battements, hurlements, cliquettements, mugissements, martèlements…
L’objet seul de l’écriture compte, qu’il soit mode de transport ou passager observé par la voyageuse écrivaine, se détachant inexorablement de l’ordre terrestre pour gagner le ciel en avion (p.131) jusqu’au mode aquatique de Venise célébré dans sa langue-mère : Ultima spiaggia (p.135).
Il y eut en littérature le bus de la ligne S de Queneau dans les Exercices de style et ses variations à usage scolaire et plus récemment en 2012, l’Ode à la ligne 29 des autobus parisiens de Jacques Roubaud, là encore vestige de l’Oulipo et d’un monde ancien (le recours à la forme antique de l’ode en témoigne). Avec le texte de Jane Sautière, il s’agit de la matière du monde, de ses effluves, de ses puanteurs, de ses beautés paysagères aussi, hors du champ de tout pittoresque : éclat d’un art poétique :
« Laisser venir l’écriture, comme terre labourée, chair ouverte, il y remonte l’inconnu, l’involontaire, l’ignoré, le battement profond de l’informulé ».
Mais chez Jane Sautière l’acte de la fabrication poétique va de pair avec l’état politique et social du monde avec « le commun » justement qui est la chair de l’humanité, celle de la foule dans les couloirs du métro, sur les escalators, dans les rames : cette tragique promiscuité de l’intime impossible : Il y a les moments où on ne s’appartient plus, les moments de foule si dense, où il reste à peine la marge de tanguer sur son propre pas et de heurter l’épaule de son voisin, et juste après, lorsque les trajectoires peuvent à nouveau s’impulser, revient le règne de la force et de la brutalité…
Misère des mendiants (les « mancheurs ») ; confusion des alcooliques ; chute d’une usagère : les passions du monde circulent dans les souterrains, les tunnels. Et pourtant quelque chose noustransporte, comme le visage d’un enfant ou d’une femme, l’ardeur du désir amoureux :
Dans l’éclairage blanc du métro, le visage renversé d’une femme asiatique boit la lumière, yeux clos, lèvres larges, figure astrale, lunaire (p.74).
François Bon dans le cadre de sa série de lectures à la lampe de poche a lu RER B, extrait de stations (entre les lignes). Cf. la vidéo in Le Tiers Livre.
Marie Du Crest
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