Spooner (Spooner), Pete Dexter (par Léon-Marc Levy)
Spooner. 2011. 555 pages. 24 €
Ecrivain(s): Pete Dexter Edition: L'Olivier (Seuil)Spooner est de ces livres-fleuve qui vous installent des personnages et des scènes destinés à durer toujours dans votre mémoire littéraire. Et il faut bien commencer par le début : la naissance du bonhomme.
« La mère de Spooner se lève seule en roulant sur le côté et, durant ces premiers instants à la verticale, une main agrippée à une chaise et l’autre couvrant sa bouche en cas de mauvaise haleine matinale, accouche de Spooner, apparu les pieds devant et de la couleur d’une aubergine, le cordon ombilical enroulé autour du cou, tel un petit homme nu précipité dans l’autre monde par la trappe d’un gibet »
Pete Dexter a planté le décor, comme les pieds de Spooner sur cette terre ! Comment ne pas penser à Rabelais, à ce moment bien sûr mais tout au long de ce roman picaresque, drôle, baroque, émouvant, puissant ? La vie de Spooner va nous coller à la peau sur plus de 500 pages. Dans une famille décalée d’enseignants américains pauvres (pléonasme ?) ayant « pondu » trois garçons plus étonnants l’un que l’autre. Deux surdoués intellectuels et … Spooner, surdoué aussi mais autrement, par ses performances physiques (il sera un grand joueur de Base-Ball), par son humanité dévorante, par sa folie assoiffée de la vie. Un personnage et un livre qui évoquent aussi John Fante par la fluidité de la narration, son flot qui emporte et par la vie bouillonnante qui anime les personnages et les scènes de vie qu’ils traversent.
On est parfois dans le trivial « trash » absolu.
« Là aussi, il y avait des hommes torse nu, dont deux cachés à l’ombre d’un poulailler. L’un d’eux sodomisait un poulet et l’autre attendait son tour, le pantalon baissé jusqu’aux genoux, son sexe en érection pareil à une baguette de sourcier. Pourquoi il n’allait pas chercher un autre poulet, lui seul le savait. La crainte de ressembler à deux petits couples, peut-être. »
La citation suivante ne va pas nous convaincre du contraire :
« Un jour, pris de boisson, Jimmy avait marché sur la robe de la princesse Grace de Monaco – robe blanche, mocassins crottés – alors que Son Altesse accueillait les invités lors d’une réception donnée en son honneur. Réprimandé par la princesse en personne, il lui avait rétorqué qu’à l’époque de sa gloire cinématographique elle avait sucé tout Hollywood pour obtenir ses rôles … »
Le monde de Pete Dexter n’est pas dans la dentelle. Il se taille dans la rocaille du travail, de la rue, de la campagne. Il se taille aussi et surtout dans l’amour des hommes, dans l’amour du monde.
Car derrière cet humour « hénaurme » et scabreux il y a un livre de célébration des hommes. Spooner est un personnage au cœur immense, débordant d’amour pour sa femme, ses gosses, ses amis, ses voisins. Et ses chiens. Ah les chiens, Harry en particulier, quelle place immense dans la vie de Spooner ! Spooner, et ce sera sa troisième filiation dans ce billet, est un frère littéraire d’Arto Paasilinna. On rit, beaucoup, on pleure, un peu. On entre dans un univers, sans fin.
« Elle dormait. C’était magnifique, une telle pureté. Rien que pour ça, il était normal qu’il l’aime. Oublions son beau derrière. Il aurait pu l’aimer rien que pour sa pureté. Voilà ce qui nous portait à aimer l’autre, se disait-il, remarquer chez lui quelque chose de pur. D’où la popularité des chiens et des bébés. »
Spooner est le septième roman de Pete Dexter. Vous irez lire les autres après celui-là.
Léon-Marc Levy
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