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Spinoza Code, Mériam Korichi (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier 08.10.24 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Roman, Grasset

Spinoza Code, Mériam Korichi, Grasset, mars 2024, 240 pages, 19,50 €

Edition: Grasset

Spinoza Code, Mériam Korichi (par Gilles Banderier)

 

À l’article « Code », le dictionnaire de Littré renvoie à l’ensemble des recueils de lois portant les noms d’empereurs romains (Théodose, Justinien) et, pour l’étymologie, au latin codex, « proprement tablette à écrire ». C’est plus ou moins ce dont il s’agit et, consciemment ou non, Mériam Korichi prend le contre-pied de toutes les histoires de manuscrits retrouvés dans les endroits les plus improbables, qui peuplent le genre romanesque (on pense ainsi au Nom de la Rose). Commençons par dire ce que ce livre n’est pas : le Spinoza Code n’a rien à voir avec le Da Vinci Code et les élucubrations afférentes, parce que le codex, le volume manuscrit en question existe bel et bien à la bibliothèque du Vatican (dont le catalogue, subdivisé en une multitude de fondi, est notoirement d’une complexité inégalée) : il s’agit du manuscrit Vat. Lat. 12838 (désormais numérisé et consultable en ligne), un manuscrit assez modeste et oublié pendant des siècles, qui présente la particularité d’avoir été copié, non sur les Opera posthuma de Spinoza parues en 1677, mais sur le manuscrit original (qui fut probablement détruit par l’imprimeur une fois son travail achevé, suivant la pratique courante de l’époque, aussi choquante nous paraisse-t-elle).

Le manuscrit Vat. Lat. 12838 est à bien des égards le véritable héros de ce roman, à faible distance de celui qui l’a fait circuler à travers l’Europe, un personnage peu connu en dehors des études spinozistes et dont le patronyme semble sortir d’un roman picaresque, Ehrenfried Walther von Tschirnhaus (1651-1708), un Saxon dont l’un des titres de gloire fut d’avoir réussi à fabriquer de la porcelaine, alors que les Chinois en gardaient jalousement la recette secrète. Mériam Korichi le fait revivre et avec lui la République des lettres, qui était également une République des sciences, où le trilinguisme était une banale norme, où les individus, les informations, les manuscrits et les découvertes circulaient malgré les rivalités politiques, confessionnelles ou linguistiques. Il valait cependant mieux être prudent et toute l’existence de Spinoza illustre l’impératif latin qui formait sa devise (« Caute »).

Pour l’Europe savante, la philosophie spinoziste avait le parfum capiteux de l’interdit. Leibniz ne fut pas le seul à tourner autour du philosophe de Voorburg, comme un papillon attiré par la flamme. Après l’avoir emporté à Londres et à Paris, Tschirnhaus finit par confier à Rome son manuscrit à un personnage fascinant, Nicolas Sténon, un médecin hollandais, reconnu par ses pairs comme un maître dans cet exercice très particulier que constitue la dissection, mais qui se convertira au catholicisme et qui, devenu prêtre, abandonna toute ambition scientifique pour se lancer dans l’apologétique et les conversions. Malgré ce parcours (ou à cause de lui), Sténon était parfaitement capable de comprendre la valeur du manuscrit que Tschirnhaus lui avait remis. Il ne le détruisit pas (ce qui n’eût servi à rien, l’Éthique étant déjà imprimée et diffusée par ailleurs), mais le déposa parmi les archives du Saint-Office, partant peut-être du principe qu’une forêt est le meilleur endroit pour cacher une feuille. Il ne fut retrouvé qu’en 2010 (à cet égard, le bandeau qui entoure le livre, « Sur les traces du manuscrit secret qui va changer l’histoire », est à la limite de la publicité mensongère : le manuscrit Vat. Lat. 12838 n’a eu aucune influence).

Alors que les étals des libraires sont envahis de romans feel-good, il fallait, outre du talent, un certain courage pour oser écrire un roman sur un sujet aussi érudit. Mériam Korichi a relevé le défi, pour le plus grand plaisir de ses lecteurs, faisant revivre avec bonheur une époque entière qui avait, à sa façon, du génie.

 

Gilles Banderier

 

Mériam Korichi est agrégée et docteur en philosophie.



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A propos du rédacteur

Gilles Banderier

 

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Docteur ès-lettres, coéditeur de La Lyre jésuite. Anthologie de poèmes latins (préface de Marc Fumaroli, de l’Académie française), Gilles Banderier s’intéresse aux rapports entre littérature, théologie et histoire des idées. Dernier ouvrage publié : Les Vampires. Aux origines du mythe (2015).