Sous les chapes grues, Jos Garnier (par Didier Ayres)
Sous les chapes grues, Jos Garnier, éditions Milagro, février 2021, 48 pages, 10 €
Matière
Écrire quelques mots sur le livre de Jos Garnier me permet d’évoquer une chose qui m’intéresse, comme tout le monde je crois : ce qui est hors de soi et ce qui est intérieur. Ce matin, d’ailleurs, j’ai songé pour figurer physiquement ce que j’ai ressenti, à mon rêve de pèlerinage musulman tournant autour de la Kaaba (الكَعْبة) en dehors de toutes choses religieuses, juste pour le carré parfait où se trouve une pierre noire. Car cette façon de dresser devant le lecteur une sorte de mur graphique très énigmatique, textes sans majuscule ni ponctuation, finit par donner une impression presque insurmontable. Il y a autant de mystère que celui qui hante depuis tant de temps les figures de pierre qui se dressent sur l’Île de Pâques.
Il m’a semblé que ces poèmes (?) faisaient office d’endroit pierreux, dur, impénétrable. C’est pour cela que j’ai pensé au in et au out. Car devant ce peuple étrange des îles chiliennes, on balance presque dans l’inquiétude, car la limitation de ces statues, ici de ces poèmes, offre un champ profond d’investigations intellectuelles.
Ainsi, la compacité, l’aspect fermé de ces dactylogrammes, met en lumière à mon sens la question du corps, du corps de l’écrivain, considéré comme refuge au milieu de la page. De cette façon c’est la chair elle-même qui est rendue présente. Car le lecteur lui aussi gît dans sa lecture.
je t’accueille avec le cœur c’est si simple à dire à laisser partir en future bohème mais à la bouche ne s’engage pas jusque-là il en faudrait peu pour oser le lourd secret à s’user les reins et la patience une invitation à se changer le monde deux temps trois mouvements une souple rengaine au cortex linéaire passion imminente silence au blanc
Le poème est pris comme matière, une matière qui ne révèle pas son secret, un texte organique, livré à l’organicité du libellé, au symbolisme du mur, comme des pierres arrachées au réel ; en bref, nous sommes dans le mode d’implosion, et non pas celui de l’explosion. Tout l’art de ce livre revient à se tenir comme le personnage de C. D. Friedrich (Le Voyageur contemplant une mer de nuages), devant un paysage abstrus.
Didier Ayres
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