Sous le non-lieu du ciel, Annie Wallois (par Murielle Compère-Demarcy)
Sous le non-lieu du ciel, Annie Wallois, Éditions Henry, Coll. La Main aux Poètes, octobre 2020, 48 pages, 8 €
Le titre de cet opus de la poétesse Annie Wallois ouvre d’entrée la fenêtre sur le champ poétique, avec son prisme d’interprétations possibles, avec l’interpellation qu’il suscite, à la fois imagé et mystérieux. La poétesse évoque un « non-lieu du ciel », mais encore ? Ne serait-ce pas cet espace dépeuplé tel qu’il peut se refléter sur la margelle du « puits intérieur », à la disparition, la perte, l’absence d’êtres aimés ? Un non-lieu pour les autres, le focus au contraire (ici amorcé par les mots d’une poétesse) sur un lieu-dit douloureux pour qui est tristement touché. Tout devient d’une hypersensible résonance au surgissement dans nos vies d’un événement majeur personnel subi comme une effraction, toujours traumatisant (deuil, accident, dépression, etc.) et l’indifférence alentour paraît alors aussi violente qu’une indécence, une provocation (« Pendant qu’au ciel tournoient les vautours / Étrangers aux maux du monde »). Les nettoyeurs (fossoyeurs) ne sont pas les payeurs (proies, victimes) et ainsi va souvent le monde mais, nous souffle Annie Wallois, ne soyons pas pour autant fatalistes, pire, résignés :
« (…) il faut faire quelque chose »). La double-page 26 et 27 semble condenser et diffuser l’atmosphère d’ensemble du recueil, nous indiquant une direction où nous nous voyons, spectateurs de nous-mêmes, rassembler les pièces du puzzle personnel de l’existence dont nous demeurons les jouets, « canards flottés ».
L’opus nous offre l’écoute de deux voix sur certaines de ses pages en vis-à-vis – deux voix représentées par une forme en italiques ou non des caractères –, comme si un dialogue s’écrivait dans l’espace poétique d’Annie Wallois entre sa perception du monde et une pensée-écho prenant son relai avec un angle d’approche d’une acuité différente ; comme si la sensibilité d’un cœur menacé de « se débiner » se rembobinait aux envers recueillies de l’existence.
Ne pas approcher l’oreille
La terrasse donnait sur un jardin
Où régnait la liberté de se répandre
Le cœur pourrait se débobiner
Où chaque herbe avait tout le ciel pour croître
Il y eût entre nous les mots que le vent rabat
Avant le confinement de la parole dans le puits
intérieur
À la fenêtre tombée comme une lame
Le regard béant sur les lointains
Tranche plus qu’il n’étreint
Plus tard loin de la ville aux mille mâts
un train file
Un paysage se débobine
Ce battement affolé de mon cœur me dit
que tu traverses mon ciel
Quelque chose de Reverdy résonne entre les lignes – une résonance des mots de qui persévère sur son chemin, de qui poursuit opiniâtrement sa route, « percutant l’air » le front hargneux ou résolu à ne pas se laisser abattre. Le détour par le chant du poème imprime, dans la caisse de résonance du cœur et de tous les sens de l’esprit, cette « obstination » que le chemin, « fruit de l’usure », imprime pour sa part à la terre. L’arbre de la Vie tient debout, résiste, enraciné dans le doute et quelques convictions qui, au final, raflent suffisamment la mise pour ne pas arracher notre être au réel ; « un grand vent rafle l’indécision », bourrasque salutaire de l’air, bouffée d’oxygène qui nous relève.
Les correspondances entre le monde extérieur et intérieur, filées par les métaphores entre sentiments et paysages, par le rythme et la mise en espace du poème, visent à donner un élan comme supplémentaire – analogue à un supplément d’âme – depuis notre résistance face aux forces obscures de la vie. Les allées et ressacs des deux voix impulsent ce mouvement en avant que nous injectent les mots de la poétesse, entre les grains de sable de notre mémoire et la houle foulant nos plages quotidiennes, les déferlements et les accalmies de la tempête, l’avancée et le retour incessants des vagues sur nos traversées existentielles. « Ne fouille pas le trou de la blessure / Accélère et passe au loin » murmure la petite voix intérieure à l’oreille de nos nuits traversées dans la mise en pièce du bonheur. La poétesse impulse l’avancée – « Affaire-toi aux avants » –, l’écriture « ravaude les bas-côtés », et si, au sein du fracas du monde « le cœur monstre » piaffe, rue, se cabre, s’il arrive que le temps s’arrête dépeuplé d’événements, vidé de ses coups de cœur frappés aux fenêtres de notre attente, s’il advient sur notre cheminement que « l’esprit bat(te) de l’aile », il nous faut réagir, nous ouvrir, voir l’œil à l’écoute
Rien que la buée sur l’ovale
d’un grain de raisin
La forme d’une pie qu’on n’a pas vue se poser
La brindille au bec du héron
Nous contant la fable du renouveau
Sous le non-lieu du ciel, les lèvres de la parole, le livre ouvert de notre vie aux fenêtres et portes battantes, ne posent jamais les scellées de la désertion sur les friches de notre existence et murmurent qu’il nous faut continuer, qu’un battement d’ailes peut suffire à relancer « le grand galop des heures » dans la rondeur des jours toujours sur le point de recommencer, de se recommencer, de nous recommencer…
Murielle Compère-Demarcy
Poète, originaire du Pas-de-Calais, Annie Wallois vit à Tourcoing. D’Annie Wallois, les éditions Henry ont publié : Nuit rebroussée ; Versets de la marche (Prix Simone de Carfort 2018) ; Sous le non-lieu du ciel (dans la Collection La Main aux Poètes).
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