Souffles - Celui qui n'écrit pas son coeur !
Lors d’une exposition de Picasso, une femme s’est approchée du grand peintre en lui demandant, sur un ton de dégoût :
– Pourquoi cette nudité dans vos toiles, monsieur Picasso ?
– Chère madame, la nudité est dans votre tête, lui a répondu Picasso.
Les écrivains algériens boudent « l’amour ». Ils sont asséchés, moralistes. Donneurs de leçons.
En relisant les doyens comme les nouveaux, je me demande : pourquoi l’écrivain algérien ne regarde-t-il pas la femme ? Ne médite-t-il pas sur la poésie du féminin ? Pourquoi l’écrivain algérien n’a-t-il pas le courage d’aller revisiter les grands rituels célébrant « la beauté » de la femme, contenus dans notre culture populaire ? Les poètes populaires (Chouaraa al malhoun) ont magnifiquement fêté dans les « kasida » le corps féminin, sans tabous, sans peur et sans hypocrisie intellectuelle.
En relisant des poèmes de Sidi Lakhdar Benkhlouf, Djilali Ain Tadles, Abdellah Benkriou, Mohammed Belkheir Benguitoune et d’autres, nous découvrons combien ils étaient courageux et sincères ces poètes populaires. Nous découvrons aussi combien elles sont poétiques nos langues dialectales. En relisantNedjma de Kateb Yacine, La grande maison, Le métier à tisser, L’incendie, la trilogie de Mohamed Dib,La colline oubliée ou Le sommeil du juste de Mouloud Mammeri, Le fils du pauvre ou Les chemins qui montent de Mouloud Feraoun, Le muezzin de Mourad Bourboune, La soif ou Les enfants du nouveau monde d’Assia Djebar ou Rih el janoub ou Nihayat al ams (Le vent du sud ou La fin d’hier) de Abdelhamid Benhaddouga, L’As de Tahar Ouattar, Touyour Fi Addahira ou Azzouz Al Kabrane (Des oiseaux à l’heure de midi ou Azzouz Al Kabran) de Merzak Bagtach, Hamaim achchafak (Les pigeons du crépuscule) de Djilali Khallas et d’autres… en relisant ces romans nous découvrons une « humidité » sentimentale.
Mais d’où vient-elle cette humidité sentimentale ?
1) La plupart de nos écrivains sont des « ruraux », dont la culture dominante favorise les valeurs de « la honte » et du repli.
2) La révolution algérienne, par sa forte présence, n’a pas laissé grande place aux « choses du cœur ».
3) L’éducation religieuse n’a pas permis aux écrivains d’accéder au développement de la culture « de l’œil ». Il est recommandé de « baisser le regard » dès le passage d’une femme.
4) Nous sommes nés dans une société dont la culture dominante considère « la femme belle » comme une « sédition » (une fitna).
Fuyant l’image de la femme « aimée ou aimante », nos romanciers se sont réfugiés dans « l’image » de « la mère » avec tout ce qu’elle symbolise de « sainteté » et de « maternité ».
Chez le romancier algérien, l’unique image de la femme porteuse du peu de « sentimental » et de « charnel » est l’étrangère (en l’occurrence la femme française).
Même la langue française n’a pas libéré l’écrivain algérien de sa mémoire rurale.
Le roman algérien est esclave du discours d’histoire et de morale. Loin du miel du plaisir.
Amin Zaoui
La série "souffles" est publiée dans le quotidien algérien "Liberté"
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