Souffles - Au pays d’Inch’Allah, par Amin Zaoui
Inch’Allah est une expression arabe composée de trois mots, qui signifie en français « Si Dieu le veut ». Inch’Allah est l’expression la plus utilisée dans le discours de cette nouvelle génération algérienne égyptianisée ou saoudianisée. Elle est utilisée à tort et à travers. Une locution importée d’Orient islamique. Dans le nouveau discours algérien, qu’importe le discours politique, social, scientifique ou culturel, après chaque phrase on entend sonner : Inch’Allah ! Nous sommes arrivés à un stade où tout le monde parle religieux. Toute la société est devenue fékiq, imam ou mufti. Tout est religionalisé ! Le mathématicien, à l’école, au lycée et même à l’université parle comme quelqu’un qui puise ses équations mathématiques de la sourate el Fatiha. Il entame ses recherches pour résoudre un exercice mathématique toujours par : Inch’Allah ! La dame de la météo voilée ou naturelle, qu’importe, lit les informations données par le centre de recherche météo logiquement, et à la fin de chaque information elle n’oublie jamais de placer la fameuse expression : Inch’Allah ! Le monsieur de la poésie classique ou moderne qu’importe, prend le micro pour déclamer un poème, et avant de le faire il commence avec « Bismi Allah ar-Rahman ar-Rahim » comme se prêter à lire ayet Al-Koursi, ou encore « J’espère que vous allez aimer ma lecture, Inch’Allah » !
Le monsieur de la médecine moderne ou celui de roquia islamique, peu importe, dans leur discours ils sont jumeaux, identiques ! Ils nous parlent de leur science usant d’un discours de sorcière ; au début, au milieu et à la fin : Inch’Allah ! Le monsieur de l’agriculture, le faux paysan ou le petit fellah, qu’importe, regarde le ciel et attend de la pluie, et dit dans une fainéantise absolue, les mains croisées, cigarette au bec ou une prise tabac chique chema sous la lèvre, « Que l’année soit bonne » et balance Inchallah ! Monsieur le docteur spécialiste de la fécondité ou de la stérilité examinent la femme en lui disant « Vous aurez… Inch’Allah » ! L’artiste chanteur, avant de monter sur scène, ou dans un studio, avant de commencer son entretien ou son concert, il nous fait tout un discours entrecoupé par : Inch’Allah ! La sage-femme ou la gynécologue de la maternité, entre les mains les résultats d’échographie de sa patiente notifiant un bébé fille, ose dire à la maman : Un garçon Inch’Allah ! Tayyabat el-hammam, si quelques unes y sont encore dans beyt skoune du hammam du quartier, frotte le dos de sa cliente en disant : Toute la saleté sera dégagée Inch’Allah ! Le taxieur dont le véhicule Symbol made in Algéria ou made in França est en panne, dit au passager : « Nous arrivons à l’heure », tout en balançant Inch’Allah ! Le monsieur de l’autoroute, le monsieur du café du coin, serveur ou consommateur, la femme qui attend son fils ou son petit-fils devant la porte d’école, la femme qui prépare des m’sammanes, la femme de la classe qui ne ressemble en rien à une maîtresse d’école, la femme qui parle à la voisine à la station du bus, la femme qui fait la chaîne pour encaisser la retraite de son époux… tout ce monde ne bouge qu’avec Inch’Allah à la bouche ! Inch’Allah est aussi un service matrimonial, et voici Inch’Allah qui marie les célibats et les vieilles filles ! Inch’Allah est aussi une agence de voyage et une « Agence immobilière » ! Dieu n’est pas fellah, Il n’est pas médecin non plus, Allah n’est pas architecte, Il n’est pas commerçant non plus, Allah n’est pas un mécanicien de véhicule, Il n’est pas boulanger ou pharmacien non plus… Nous sommes au pays d’Inch’Allah (Si Dieu le veut) mais Allah ne répondra jamais aux appels des fainéants et aux hypocrites recroquevillés dans un discours religieux de paresse ! Dieu écoute ceux qui excellent dans la science, dans le travail, dans la création. Son cadeau pour l’être humain c’est cette intelligence qu’il faut bien exploiter.
Inch’Allah d’aujourd’hui n’est plus Inch’Allah de mon grand-père !
Amin Zaoui
In "Souffles", Liberté, Alger
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