Sortir du noir, Georges Didi-Huberman
Sortir du noir, novembre 2015, 64 pages, 6 €
Ecrivain(s): Georges Didi-Huberman Edition: Les éditions de MinuitGeorges Didi-Huberman prouve comment dans Le Fils de Saul l’univers est une obscurité qui se meut en tous sens, suspendue à une chambre de mort dans le regard du héros (ou de la victime) qui la réfléchit. Ce corps miroir est réfléchi par le corps du récit où est réfléchi le fond d’un abîme, d’un chaos. Mais c’est parce qu’il y a de l’image que le corps se pense ici. Elle « concentre » et oriente l’effet miroir du corps vivant dans le corps mort d’un enfant qui augmente intensément son pouvoir réfléchissant.
Dans le camp de la mort, tel que le film Nemes le montre, le corps change de portée, il est la nasse noire qui parle le chagrin irrépressible au-delà des larmes. Le monde entier se referme, enseveli avec les corps. Et Didi-Huberman explique comment la robe du récit n’est plus un enrobement, il dévoile s’écartant autant du documentaire que de la fiction.
A partir de récits de « zimmercommandos » promis à la mort car ils portent sur leur dos leurs frères et leurs secrets, la Shoah n’est que plus prégnante. Le réalisateur contourne l’obstacle de la représentation par le rôle prépondérant de la bande son (qui utilise toutes les avancées technologiques) et l’espace off qui sollicitent l’imaginaire du regardeur. La diégèse si elle est respectée n’a rien de naturalisme. Pour autant elle n’est pas simplifiée par les codes dramatiques identifiables induits par les autres récits sur l’Holocauste.
Un tel film comme le rappelle Didi-Huberman se rapproche moins de Shoah de Lanzmann et ses chaînes narratives enchevêtrées que de Kafka et sa Colonie Pénitentiaire. Le « voyage » de Nemes donne là une vision inconnue à un désastre qui devient réflexible à travers le réseau des langues qui le rend intelligible. Mais peu à peu le monde comme l’explique l’auteur sort de l’obscurité. La condition de clarté de l’univers survient par le corps miroir et le corps récit qui le réfléchit.
Deux récits se superposent : celui de la création du monde du mal et celui de sa connaissance. Tel est le bi-théisme du film au moment où jusqu’à la divinité perd son sens. Tout s’ouvre sur une profondeur de visions emboîtées. Elles débouchent sur la cruauté historique. Elle est devenue sans précédent dans la frénésie du récit qui soudain se rapporte au présent. Il montre la fureur du réel qui pèse de façon millénaire sur lui au nom de la figure de l’apôtre Judas qui trahit et livre sa victime tout en accomplissant son destin.
Jean-Paul Gavard-Perret
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