Sorciers et magie, Gardner Dozois (par Didier Smal)
Sorciers et magie, Gardner Dozois, J’Ai Lu, avril 2023, trad. anglais, Arnaud Mousnier-Lompré, 736 pages, 12 €
Edition: J'ai lu (Flammarion)
Une bonne anthologie est supposée éveiller le désir d’aller à la rencontre d’auteurs et d’œuvres ; à ce titre, Sorciers et magie est une excellente anthologie de fantasy. Feu Gardner Dozois y propose un aperçu assez complet du genre par le biais de l’activité qui agace au plus au point les rationalistes de tout poil ; la magie – mais sans magie, quel récit vaut la peine d’être lu, puisque tout grand auteur est un peu magicien, avec une tendance à sortir de son encrier un lapin événementiel quelconque ? Dozois avait déjà proposé trois autres biais de découverte de la fantasy, dans lesquels la magie était présente au moins en arrière-plan, puisqu’elle est partie prenante du genre : Dangerous women (en deux tomes), Vauriens, et l’adéquatement nommée Épées et magie, et Sorciers et magie, est à la hauteur de ces trois autres anthologies.
À lui seul, comme précédemment, le panel des auteurs présents vaut le détour, puisque quelques grands noms du genre, connus même des néophytes francophones, sont présents le temps d’une nouvelle. Qu’on en juge : Robin Hobb (sous son vrai nom, Megan Lindholm), George R.R. Martin, K.J. Parker, Tim Powers ou encore John Crowley. Mais sont aussi présents des auteurs dont l’œuvre est pour l’heure peu ou pas traduite en français, et dont la nouvelle choisie par Dozois donne envie de se remettre sérieusement à l’anglais (on pense en particulier à Eleanor Arnason, dont l’incursion dans le folklore avec Loft le sorcier est un apéritif succulent au recueil Hidden folk : Icelandic Fantasies). D’un autre côté, cette anthologie, il faut le souligner, permet aussi de tracer des lignes de démarcation personnelles – ainsi, non, aucun désir de fréquenter à nouveau le voyou cynique Jack Talons-à-ressorts né de l’imagination d’Ysabeau S. Wilce.
Ce qui peut sembler un bémol est en fait la qualité principale des anthologies signées Dozois : il brasse large, toujours avec une grande exigence littéraire (oui, la nouvelle signée Wilce est bien écrite, le récit est rondement mené et inventif, c’est juste que son univers n’a pas eu l’heur de plaire) mais sans se cantonner à un sous-genre spécifique de la fantasy. Heroic fantasy, high fantasy, dark fantasy ou encore urban fantasy, le lecteur de Sorciers et magie goûte à tous les plats, et retient ceux qui lui plaisent le plus.
Cette pluralité, tant générique que tonale (tous les styles ou presque sont ici proposés), incite à recommander Sorciers et magie, au même titre que les trois anthologies citées ci-dessus, à deux publics potentiels : les curieux de ce genre qu’est la fantasy, qui seront ici confrontés à la crème du genre proposée par un fin connaisseur (donc pas la recommandation d’une saga dévorée par un cousin bienveillant mais baignant dans le genre à un point tel qu’il en perd tout esprit critique, et que le reste de la famille lève les yeux au ciel à l’évocation de ses parties de jeux de rôle – sans jamais avoir essayé, bien sûr…) et pourront donc s’en faire une idée claire, au beau risque d’avoir envie d’en connaître plus. Et un autre public : celui qui connaît déjà très bien le genre tel que traduit pour l’heure en français, et désirerait aller à la rencontre de ce qui s’écrit de mieux en langue anglaise sans attendre qu’une maison d’édition s’attelle à une traduction quelconque.
Au fond, cette anthologie est donc à recommander à tout le monde, car il n’existe aucune raison valable de snober la fantasy, genre de l’inventivité narrative, de l’exploration de l’humanité et, surtout, de l’éloignement du monde tout en proposant des univers finalement proches du nôtre. Un rien de magie en sus.
Didier Smal
Gardner Dozois (1947-2018) est un auteur américain de science-fiction, doublé d’un critique et rédacteur en chef (pour Asimov’s Science Fiction) de première importance. On lui doit entre autres l’invention du terme « cyberpunk ».
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