Sonate cartésienne, William Gass
Sonate Cartésienne (Le Cherche Midi, Collection LOT 49, 20 €)
Ecrivain(s): William Gass Edition: Le Cherche-MidiDeux ans après la publication française de son monumental Tunnel, résultat de près de trente ans de travail, William H. Gass revient avec un recueil de quatre longues nouvelles comme autant de mini romans. Il y est question d’une femme extra-lucide ; d’un comptable itinérant spécialiste des bidouillages qui tombe sous le charme d’une chambre d’hôtes ; d’une vieille fille amatrice de poésie et tueuse de mouches ; d’un homme devenu un orfèvre dans l’art de la vengeance secrète. Autant de portraits de solitudes et de personnages dont l’existence est faussée par leur perception de la réalité.
Le titre du recueil, Sonate cartésienne, pourrait annoncer un mélange de musique et de philosophie, d’émotion et la raison. Et de musique, il en est bel et bien question, non pas au niveau des sujets abordés mais d’une écriture que Gass compare lui-même à un « thème musical ». Les variations de rythmes alternent, la phrase se fait ample, enveloppante, s’étire sur trois pages avant de brutalement devenir plus saccadée et de multiplier les coupures.
Ainsi qu’il l’affirme, William H. Gass fait la leçon. Et il la fait bien. Il n’est pas du genre à jouer les faux modestes (« Mon Dieu, rappelez-vous que je suis censé penser, sentir et voir pour tout le monde – vous vous en rendez compte ! – c’est ça le vrai boulot de l’auteur, et tout ce temps-là le Christ roupille dans son fauteuil »). Il a parfaitement conscience de son talent et il entend le démontrer en s’amusant avec le lecteur (avec des phrases du type : « Le lecteur attentif aura remarqué »), en disséminant des néologismes ici et là ou en faisant varier la narration de points de vue. Bref, n’est-il pas un excellent écrivain pour tous ceux qui veulent écrire ?
La description d’une Chambre d’hôtes (celle qui donne son titre à la seconde nouvelle du roman, sans doute la plus réussie) ? Gass peut y passer près de 90 pages étourdissantes, un véritable tour de force. A chaque fois que le héros contemple la pièce, de nouveaux éléments y apparaissent, des éléments qu’il faut bien nommer de manière juste et précise pour leur donner toute leur réalité. Et c’est précisément ce travail de description qui va rendre cette chambre littéraire (« Son œil, une fois qu’il s’était enfin mis à regarder les choses, s’était fait littéral »).
Peut-être parce qu’il en fait trop, Gass peut parfois irriter. Comme avec le titanesque Tunneljubilatoire, mais aussi exaspérant par moments.
Ce recueil de nouvelles n’est pas seulement une « Sonate », c’est une « Sonate cartésienne ». C’est-à-dire, littéralement, une musique qui userait de la raison pour s’affirmer et qui au lieu de s’appuyer sur la foi se servirait de l’intelligence, de l’intuition, de la déduction, de l’imagination, du sens et de la mémoire.
Dans la quatrième et dernière nouvelle, Le maître des vengeances secrètes, William H. Gass avoue pourtant : « Il nous faut écarter avec le plus grand respect, naturellement, la vision exagérément linéaire qu’a Descartes, de l’explication rationnelle, parce que les révélations résultent rarement de l’escalade d’une échelle par l’esprit […] ; elles s’accomplissent plutôt à la manière indirecte […] ». William H. Gass nous aurait-il menés en bateau ? Mais dès la couverture, nous étions prévenus. Un serpent s’y dissimule. Sa figure hante le récit. Dans chaque nouvelle, comme un fil conducteur, il revient pour lier l’écrivain au lecteur qui apprend à écrire et à lire la phrase de Gass.
« Ecrivain lecteur, pesez deux fois chaque chose, veillez à ce que tout compte, et séparez-vous de votre écriture lecture à la manière dont un serpent se débarrasse de sa peau, en gardant également à l’esprit qui vous êtes, écrivain lecteur – vous êtes la mue, et le texte qui vous est commun est le serpent luisant et rusé ».
Yann Suty
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