Soif, Amélie Nothomb (par Murielle Compère-Demarcy)
Soif, août 2019, 152 pages, 17,90 €
Ecrivain(s): Amélie Nothomb Edition: Albin Michel
Parodie d’une société « assoiffée » de trouver son bouc-émissaire pour assouvir son désir d’exercer sa cruauté et de jouir du mal causé, ce nouveau roman d’Amélie Nothomb revisite allégoriquement la mise à mort d’une figure emblématique – celle du Christ – en nous faisant revivre, par la voix de la victime elle-même (celle du narrateur), le dernier jour d’un crucifié (Victor Hugo avait écrit Le dernier jour d’un condamné).
Jésus en personne nous parle dans ce roman au titre éloquent, pour nous offrir un autre visage que celui auquel l’Histoire nous a habitués. Jésus nous parle, à nous lecteurs, et s’adresse aussi plus largement à l’humanité, en dévoilant un visage au plus haut vivant (comme la « soif » éprouvée nous rend vivant). Celui qui se voit accusé par ses propres miraculés de ne pas avoir mesuré toutes les conséquences de ses prodiges, celui qui se révèle doté d’un don extraordinaire, dévoile en même temps et contre toute attente que « rien du mal ne lui est étranger », qu’il éprouve à l’égal du commun des mortels le mépris, la peur, la haine, qu’il connaît l’amour par celle qu’il nomme ici « Madeleine », etc.
Dans Soif, Amélie Nothomb ressuscite Jésus en la personne d’un Christ profondément humain. Avec un humour que la romancière pratique avec maestria. La montée au calvaire du Christ ébloui par l’aide de Simon de Cyrène et le voile de Véronique touche au paroxysme de l’ineffable. Miroir parodique tendu à la face d’une société dont la farce grégaire demeure, au fil des âges de l’humanité, terriblement grotesque ; parodie d’une Comédie humaine tragiquement risible et monstrueuse sous son masque innocent – Soif parvient à nous faire éprouver, par la voix du roman et son langage narratif rehaussé par le style d’A. Nothomb, le calvaire d’une figure emblématique bouc-émissaire rendue ici plus vivante qu’« une métaphore ». Jésus représente dans Soif l’incarnation profondément humaine de la vie.
Prendre une gorgée d’eau de ce nouveau roman signé Amélie Nothomb, Soif, la garder en bouche pour en prolonger la saveur, en « mesurer l’émerveillement », c’est accéder au plaisir éblouissant de la lecture comme à chaque apparition d’un livre orchestré avec brio par une romancière capable de susciter en nous Stupeur et tremblements. Cette Soif (iconoclaste sur le seuil ?) exauce, par sa teneur et sa portée, une sorte d’Hygiène de l’Humanité. Et ceci n’est pas une métaphore.
Murielle Compère-Demarcy
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