Septembre, déjà, Pascal Boulanger
Septembre, déjà, octobre 2014
Ecrivain(s): Pascal Boulanger Edition: Recours au poème EditeurInitialement édité chez Messidor, en 1991, Septembre, déjà, de Pascal Boulanger, est aujourd’hui réédité chez Recours au poème Editeurs, éditions numériques dirigées par Matthieu Baumier et Gwen Garnier-Duguy, « extension du domaine de la poésie » selon les mots de Matthieu Baumier, dont l’enjeu significatif est de proposer une poésie de plus en plus vivante sur un support dynamique pour les poètes, afin de déplacer les frontières de leur visibilité.
Ecriture et pensée, poésie et spiritualité fondent l’œuvre de Pascal Boulanger depuis ces Premiers poèmes qui ouvrent sur le réel de nos parcours humains et fragiles, de l’enfance à l’adolescence, des premières amours à la quête de l’Amour, celui qu’on entrevoit peut-être dans la figure des Dieux « de passage » quand « on contemple leur voile blanc dans la nuit » ou celle d’un Christ rédempteur « Alliance, quand il marche sur l’eau ».
Alors qu’on touche au réel et peut-être même à une expérience intime, se déploient en douceur toutes les images de la douleur, du « fracas de la mer qu’on égorge » aux « oiseaux comme des cathédrales » ; le poète, témoin toujours de « ces écumes de tendresse » qui unissent le ciel et la mer dans une musicalité des émotions surgis de la mémoire la plus lointaine.
Désir, solitude, inquiétude, rêverie, et « l’aube, toujours trop violente pour les yeux de celui qui souffre», une traversée de la défaite jusqu’à son assomption : « je suis dans le bleu, maintenant, de l’autre côté du miroir ».
Septembre, déjà, ce sont des dates, 1936, printemps 81, des instants surgis d’un passé, l’Histoire, « le sang du siècle », les morts, l’Espagne, l’exil, les deuils, qui croisent les amours de jeunesse et la recherche d’un sens, la perspective d’une découverte de l’être en-soi, ce qu’il héberge de plus lumineux en lui.
Légendes qui ouvrent le recueil reconstruit une généalogie, depuis les morts de la guerre d’Espagne, avec une date célèbre, 1936, évoquant l’exil d’un être parti loin des siens, toute une génération, dans le souvenir « le temps pour la rose d’accomplir un vœu/et c’est le soir déjà dans le cœur d’une femme ». D’une génération à l’autre, c’est le temps toujours qui file entre les doigts. Le poème Les exilés posera déjà la question de la consolation, « quel dieu les consolera ? »
De cette date, bien avant la naissance du poète jusqu’à ce printemps 81, jour de la défaite amoureuse, une trajectoire dans la souffrance. Comme si l’échec amoureux renvoyait à toutes les douleurs accumulées dans le temps. Remonte ainsi tout ce que le réel supporte d’événements tangibles et s’intercale un long poème dédié à cet amour déchu. Le souvenir s’allie l’image de celle par où la chute a surgi :
« tu t’éveilles en songeant au fruit
qu’elle tenait dans sa main
au silence dans ce jardin
qu’une morsure brisa ».
Et Septembre s’inscrira dans sa rétine pour tous ces jours sans fin, sans elle « les jours sans ton prénom ». Il suffira de se laisser glisser dans la blessure du ciel, s’allonger « sur un lit de neige », dans les obsédantes lames de la douleur que comblera la solitude.
« Dans la morsure de ton départ
l’insomnie profane
la tendresse l’œil sous les blés ».
A ce départ d’un être cher, « le voleur de bicyclette » renvoie, au plus près du réel ordinaire, la honte, la détresse d’une enfance soumise à la blessure.
Le sang du siècle, la guerre s’intercalent avec ce long poème d’amour :
« depuis notre séparation mon amour
depuis les étoiles ont peur
les roses chuchotent »
La douleur, la perte se font lancinantes et Septembre déjà rappelle sa roue, sa croix :
« dans l’entrelacs du sommeil et du vertige
tu te cognes aux mêmes hantises »
Les autres femmes croisées ensuite « viendront mourir sur ta peau ».
Avec la deuxième partie, Murmure et sa chute, commence une longue quête impossible. Au parloir « on cherche la serrure introuvable sur la porte », on a perdu les clés du paradis, l’innocence avec. L’amour semble devenu impossible à retrouver :
« au doigt frôlant l’épaule
il oppose la paupière fermée »
Comment croire au monde dans ces rues « où transpirent les drames », comment retrouver l’amour ? Peut-être dans l’image sensuelle des filles, comme celle de Georges Rouault (La fille au miroir) ?
Reviennent l’inquiétude, le souvenir blessé de l’enfance. A la nostalgie se mêlent la sensualité des images, celles, furtives, du portrait d’une femme, esquissé.
La lettre d’amour vient clôturer cette difficile ascension, dans le rappel du souvenir d’un amour de 15 ans, à laquelle s’associe désormais Septembre :
« Je t’écris d’un voyage qui me ramène
au triste portail de Septembre ».
Deuils alors apportera son lot de pertes, irréversibles celles-là, évoquera les veuves, le silence et la cendre :
« dormir est un fleuve
qui s’étrangle dans sa légende ».
La dernière partie intitulée L’Age d’or convoquera Déméter, oublieuse, toute à son deuil, et Icare, ambitieux qui lui « oublie que les ailes du rêve/l’aube les tue ».
Marie, et Saint François d’Assise, tous deux, espérance d’amour. Et puis il y eut, ce jour, « plus aucune terreur, joie/un fruit exulte dans mes mains », où l’on cherche encore les hommes et leurs complots, leurs plaintes, où l’on doute du silence de la lumière du « Fracas de la mer qu’on égorge », et c’est enfin l’Alliance, nous voilà unifiés, conquis.
Tous l’attendent,
« Fleurs forêts routes maisons
Alliance je n’embarque pas
parfums des ports où traînent les femmes
jusqu’au matin
jambes et sexes qui baillent
je n’embarque pas
Mer ciel vent flammes
Dans l’étendue du temps qui s’offre
j’ai l’horizon dans mes bras… »
Et ce sera enfin un nouveau départ, il faut partir :
« rejoindre la vallée
ses noces de fleurs et d’insectes »
Dans la promesse du renouveau, s’ouvrir à ce qui s’offre, « tu retrouves le livre », « accepter le verger /qui donnera la réponse ».
C’est le temps de la moisson et des noces de Cana, la traversée fut rude mais enfin, on aborde à la rive opposée. De nouveau le désir des femmes, l’amour divin accordé à l’amour terrestre, « Dieu est si tendre sous les corsages ». On est passé de l’autre côté du miroir.
La cité bleue
Et c’est toujours ainsi que l’aube s’annonce : par cette ligne blanche à l’est. Patience. S’il manque encore un peu de bleu au décor du jour, l’abeille tend déjà ses deux sceptres. À présent, pas une ligne ne perce l’espace. Toutes les limites se confondent, s’anéantissent. Un bleu très pur se noie dans le silence, tout un vide accumulé de bleu. Le ciel et la mer font un rêve d’inceste, je suis témoin de ces écumes de tendresse. Les mouettes sont immobiles, c’est une absence de monde, un verrou dans la bouche rouge des hommes. L’espace s’ouvre, je suis un point d’horizon pour les sept bleus qui m’entourent. Je suis dans le bleu maintenant, de l’autre côté du miroir.
Mêlant prose et poésie indifféremment, dans un désir de louer le réel et l’invisible, ces Premiers poèmes de Pascal Boulanger, publiés en 1991, inaugurent les thèmes qu’abordera par la suite le poète, le questionnement intérieur qu’il inscrira au cœur de sa recherche poétique et spirituelle.
« Poète du réel, je ne me satisfais pas des berceuses, je voyage dans les coulisses du théâtre » disait-il dans un entretien donné à la revue Recours au poème :
http://www.recoursaupoeme.fr/rencontre/pascal-boulanger/gwen-garnier-duguy
« Départ
Il me faut partir maintenant
pour atteindre des pays gorgés d’eau et de lumière-joie
des océans noyés d’incendies
Mais quand les églises s’habillent
de blé et de lin
je redoute l’exil et le crachat
J’aimerais ressembler à ces vitraux
qui naissent et périssent dans la prière
Je me tais et je tremble
Et sans cesse le vacarme des tyrans
sans cesse le même sang lézardant la parole »
Marie-Josée Desvignes
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