Secret défense, Hervé Temime (par Jean-Paul Gavard-Perret)
Secret défense, Hervé Temime, septembre 2020, 192 pages, 18 €
Edition: Gallimard
Hervé Temime : éloge du secret et de l’ambiguïté
Hervé Temime s’est intéressé très jeune à la vie judiciaire. S’y engageant, il eut comme modèle Emile Pollak, « avocat inclassable » et défenseur entre autres de Pierre Goldman.
L’avocat pénaliste est qualifié comme avocat des riches et des stars – ce qui est réducteur et un peu court ? Et ici il explique ce qu’il en est de son travail. Il ne cherche pas à tout connaître de ses clients : il se positionne par rapport à ce qu’ils font et ce que dit leur dossier. Mais il sait éventuellement faire juste pression sur eux par la communication qu’il entretient, afin de leur arracher certaines postures impossibles à tenir lorsque les dés sont pipés pour et par eux. Ce qui parfois est impossible et l’a entraîné quelquefois à quitter une affaire.
Pour Temime, la part d’acteur est importante chez un avocat. Néanmoins celui-ci ne joue pas un rôle. Seul face à des juges et jurés, il ne peut les convaincre qu’avec des mots. Mais pas n’importe lesquels. L’humanité est importante pour lui et il est juste qu’elle passe avant la vérité. Ce qui peut choquer mais reste essentiel à l’égard des victimes, comme aussi à ceux que l’avocat défend. Pour lui la question de la preuve reste essentielle, et sans elle la condamnation est impossible – quitte à bénéficier à l’accusé (ce que Voltaire « défendait » déjà en son temps).
L’auteur – comme Badinter – rappelle qu’un procès n’est pas fait pour réparer la victime mais donner la justice, ce qui est bien différent. Certains peuvent s’en choquer mais l’auteur déteste qu’on se plaigne d’un « accusé » tant ce qui est à juger est plus complexe qu’il n’y paraît.
Lié à Georges Kiejman par beaucoup de points (dont la mort de leur père), l’auteur reconnaît qu’il n’aurait pu être juge tant il faut de qualités presque surhumaines. Mais son livre est avant tout la défense de valeurs désormais oubliées ou bafouées, au moment où les clauses de confidentialité sont devenues lettre morte. Et si l’auteur aime son époque, il lutte contre sa volonté de transparence à tout prix. Il défend le secret et l’ambiguïté. D’où l’incipit de Malraux qui ouvre le livre : « La vérité d’un homme c’est d’abord ce qu’il cache ». Et c’est pourquoi pour Temime, l’avocat doit briller paradoxalement par son intégrité. D’autant que pour lui la vérité totale n’existe pas, et au besoin l’avocat doit se contenter de ce qui est la leur.
L’objectif est toujours de faire son métier et sa mission « sans mentir et sans dire la vérité ». L’avocat doit se tenir souvent sur cette ligne de crête. Temime le prouve en évoquant des affaires judiciaires connues et méconnues, analyse les mécanismes de la justice française, ses failles et forces, explicite avec humour voire ironie ses rapports avec les médias.
La « vérité » qu’il défend est pour certains difficile à accepter. Elle peut sembler mal venue dans notre monde de prétendue transparence, où les fuites et les réseaux sociaux veulent faire une justice pire que celle qui tente de se faire jour dans les prétoires. C’est pourquoi ce livre est indispensable.
Jean-Paul Gavard-Perret
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