Scènes d’intérieur, Silvia Marzocchi (par Didier Ayres)
Scènes d’intérieur, Silvia Marzocchi, éditions Lanskine, novembre 2019, 47 pages, 13 €
Une poésie ténue
Ce recueil, qui est le premier livre de Silvia Marzocchi, représente une énigme qui m’a beaucoup intéressé. En effet, j’y ai vu comment se fabrique un poème où les éléments de référence sont effacés, ou bien dans une relation ténue au réel. Pour le dire autrement, une poésie du peut-être. Car les événements que relatent ces textes sont imprécis, brumeux, évoqués plus que relatés, dits mais pas surlignés, de façon que reste l’incertitude, que demeure une poésie de l’incertain.
Quels sont les vrais protagonistes ? Il semble qu’il s’agisse tout d’abord de la poétesse, qui s’appuie sur sa propre vie, tendue, comme témoin d’une blessure, de faits sans doute qui expliquent la douleur de l’écrivaine. Autrice dont le contour est flou, portée au doute, autant que ce qui paraît être une famille, en tous cas des personnes proches, sujettes à des dangers : drogue, anorexie, pouvoir inutile de la parole. Je pencherais pour dire que c’est effectivement de sa famille que l’écrivaine tire son réel poétique. Une histoire de famille.
Du reste, cette diégèse du récit poétique a été pour moi assez capitale : découvrir ce que cachaient ces figures, et tenter de déceler depuis ce récit troué et écrit dans une graphie appropriée, faite de retours à la ligne désordonnés, de vers coupés d’espaces, de citations en anglais, etc., l’abîme moral d’une petite communauté d’hommes et de femmes, atteints par la violence et la mort. J’ai donc cherché dans ces poèmes une réparation à la douleur, à la douleur mienne, et par là évidemment universelle, à voir comment on résiste à la disparition, au suicide, aux malheurs des troubles mentaux, aux addictions.
le drame
tabloïds en fête
c’est l’été
overdose à la clef
fils de famille
va s’en dire
Oui, j’ai parcouru le livre comme on le ferait d’une introspection, cherchant ma propre image dans la douleur de ces vies. D’ailleurs, les quinze sections de l’ouvrage qui forment ces quinze scènes d’intérieur sont une sorte de théâtre. Où le rôle principal est joué par un autrui, par un Autre, par des autres. J’ai même songé à ce terrible film de Lynne Ramsay, We need to talk about Kevin, qui retrace soit la perte, soit l’impossible contrôle d’une mère sur son enfant. C’est donc le malheur que je retiens. Malgré cela, j’ai continué de lire pour éclaircir mon intuition, et tenter de voir s’il s’agissait bien de ce que je pensais, et de cette manière, j’ai suivi les textes avec un certain goût dramatique, où le poème faisait histoire.
Il faut donc insister sur le talent de ce premier livre, lequel surplombe sa douleur. De fait, le texte est écrit comme en urgence, où écrire une parole de survie est nécessaire, où trouver un refuge contre la haute douleur d’exister parmi les malheurs, les douleurs personnelles, devient un moment de partage où l’on décrit la blessure, rappelant ainsi une forme de catharsis propre au théâtre. Le lecteur prend cette langue abîmée, défaite, lâche, distendue, comme un message qui le tient en suspens, lecteur qui veut peut-être lui aussi trouver régénération, et voir la tragédie du poème comme son propre drame restauré.
il
sait
parler
sa parole
savante
n’arrête
pas
c’est un monde
fait de mots
des mots
sa parole savante n’arrête pas ce monde
de ses mots
Didier Ayres
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