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Scènes d’intérieur, Silvia Marzocchi (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres le 28.01.20 dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres

Scènes d’intérieur, Silvia Marzocchi, éditions Lanskine, novembre 2019, 47 pages, 13 €

Scènes d’intérieur, Silvia Marzocchi (par Didier Ayres)

 

Une poésie ténue

Ce recueil, qui est le premier livre de Silvia Marzocchi, représente une énigme qui m’a beaucoup intéressé. En effet, j’y ai vu comment se fabrique un poème où les éléments de référence sont effacés, ou bien dans une relation ténue au réel. Pour le dire autrement, une poésie du peut-être. Car les événements que relatent ces textes sont imprécis, brumeux, évoqués plus que relatés, dits mais pas surlignés, de façon que reste l’incertitude, que demeure une poésie de l’incertain.

Quels sont les vrais protagonistes ? Il semble qu’il s’agisse tout d’abord de la poétesse, qui s’appuie sur sa propre vie, tendue, comme témoin d’une blessure, de faits sans doute qui expliquent la douleur de l’écrivaine. Autrice dont le contour est flou, portée au doute, autant que ce qui paraît être une famille, en tous cas des personnes proches, sujettes à des dangers : drogue, anorexie, pouvoir inutile de la parole. Je pencherais pour dire que c’est effectivement de sa famille que l’écrivaine tire son réel poétique. Une histoire de famille.

Du reste, cette diégèse du récit poétique a été pour moi assez capitale : découvrir ce que cachaient ces figures, et tenter de déceler depuis ce récit troué et écrit dans une graphie appropriée, faite de retours à la ligne désordonnés, de vers coupés d’espaces, de citations en anglais, etc., l’abîme moral d’une petite communauté d’hommes et de femmes, atteints par la violence et la mort. J’ai donc cherché dans ces poèmes une réparation à la douleur, à la douleur mienne, et par là évidemment universelle, à voir comment on résiste à la disparition, au suicide, aux malheurs des troubles mentaux, aux addictions.

 

le drame

tabloïds en fête

c’est l’été

overdose à la clef

fils de famille

va s’en dire

 

Oui, j’ai parcouru le livre comme on le ferait d’une introspection, cherchant ma propre image dans la douleur de ces vies. D’ailleurs, les quinze sections de l’ouvrage qui forment ces quinze scènes d’intérieur sont une sorte de théâtre. Où le rôle principal est joué par un autrui, par un Autre, par des autres. J’ai même songé à ce terrible film de Lynne Ramsay, We need to talk about Kevin, qui retrace soit la perte, soit l’impossible contrôle d’une mère sur son enfant. C’est donc le malheur que je retiens. Malgré cela, j’ai continué de lire pour éclaircir mon intuition, et tenter de voir s’il s’agissait bien de ce que je pensais, et de cette manière, j’ai suivi les textes avec un certain goût dramatique, où le poème faisait histoire.

Il faut donc insister sur le talent de ce premier livre, lequel surplombe sa douleur. De fait, le texte est écrit comme en urgence, où écrire une parole de survie est nécessaire, où trouver un refuge contre la haute douleur d’exister parmi les malheurs, les douleurs personnelles, devient un moment de partage où l’on décrit la blessure, rappelant ainsi une forme de catharsis propre au théâtre. Le lecteur prend cette langue abîmée, défaite, lâche, distendue, comme un message qui le tient en suspens, lecteur qui veut peut-être lui aussi trouver régénération, et voir la tragédie du poème comme son propre drame restauré.

 

il

sait

parler

sa parole

savante

n’arrête

pas

c’est un monde

fait de mots

des mots

sa parole savante n’arrête pas ce monde

de ses mots

 

Didier Ayres

 

  • Vu: 2009

A propos du rédacteur

Didier Ayres

 

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Rédacteur

domaines : littérature française et étrangère

genres : poésie, théâtre, arts

période : XXème, XXIème

 

Didier Ayres est né le 31 octobre 1963 à Paris et est diplômé d'une thèse de troisième cycle sur B. M. Koltès. Il a voyagé dans sa jeunesse dans des pays lointains, où il a commencé d'écrire. Après des années de recherches tant du point de vue moral qu'esthétique, il a trouvé une assiette dans l'activité de poète. Il a publié essentiellement chez Arfuyen.  Il écrit aussi pour le théâtre. L'auteur vit actuellement en Limousin. Il dirige la revue L'Hôte avec sa compagne. Il chronique sur le web magazine La Cause Littéraire.