Savannah dream, Cécilia Dutter
Savannah Dream, 2013, 216 pages, 16 €
Ecrivain(s): Cécilia Dutter Edition: Albin Michel
Cécilia Dutter vient de recevoir le prix Oulmont de la Fondation de France pour son précédent roman, Lame de fond (paru chez Albin Michel) et elle nous propose déjà son dernier opus, Savannah Dream, chez le même éditeur. Quelle santé ! Quel rythme ! Et de rythme, justement, le récit n’en manque pas.
À travers cette histoire d’adultère qui se joue dans le Vieux Sud des États-Unis, là où la moiteur des corps rivalise avec celle du climat, l’auteur convoque ses thèmes chéris, jusqu’alors traités séparément dans sa bibliographie : l’amour, le désir, la philosophie, la spiritualité. Tout cela peut-il faire bon ménage ? Sous l’orchestration magistrale de Dutter, oui. Et sans provoquer ni le moindre ennui, ni le moindre mal de tête, ni le moindre alourdissement de paupières. Pour quelle raison ? Parce que l’écriture et la construction narrative nous tiennent en haleine du début à la fin. Fin que l’on aurait souhaité – la chose est assez rare pour être signalée – voir arriver plus tard. Savannah Dream se dévore donc avec la même gourmandise que l’un de ces biscuits chocolatés et longilignes qui nous font dire : « Vous pourriez pas les faire un peu plus longs ? »
Même si Julien, le narrateur, doit bien le trouver assez long, le temps, lui, occupé à se sortir du piège dans lequel il s’est précipité de son plein gré, tel le papillon se précipitant sur la flamme qui le consumera.
Chercheur en écologie, au CNRS, il commence par trahir son idéal. En échange d’un fort salaire dont il n’aurait pu rêver en France, il accepte d’aller travailler pour Coca-Cola, à la maison mère d’Atlanta. Il y dirigera une campagne de communication visant à affirmer l’implication de la firme dans un programme « vert ». Il n’est pas dupe, il sait qu’il vend son âme au diable. Puis il donne dans la foulée son corps à Maud, ce qui se révélera bien pire.
En effet, à peine a-t-il atterri sur le sol américain, avec son épouse et ses deux fils, qu’il rencontre cette expatriée – tout comme eux –, sous l’emprise de laquelle il tombe immédiatement. Maud est un professeur de philosophie et une fine psychologue qui maîtrise son sujet, surtout si ce dernier se nomme Julien. Le sujet en question accepte de se livrer totalement à sa maîtresse, voire sa dominatrice. Celle-ci, avec talent et patience, s’enroule autour de sa proie comme une racine de mangrove vénéneuse et carnivore. Cette relation de dépendance va si loin que Julien en arrive à se demander s’il ne cherche pas, à travers Maud, à combler ce grand vide que Dieu a laissé en lui, lorsqu’il a cessé d’y croire il y a déjà longtemps. C’est dire sur quel piédestal il place cette femme, bien qu’il aime toujours la sienne.
Les corps sont nus, les mots sont crus, les situations sont brutales, mais tout sonne juste sous la plume de Cécilia Dutter, qui réussit l’exploit de se mettre à la place d’un homme, de penser et de parler comme un homme, de désirer comme un homme. Et de se faire mener par le bout du nez comme un homme.
Jusqu’où Julien suivra-t-il Maud dans la voie de perdition qu’elle s’évertue à lui faire emprunter ? Et pour quelle raison a-t-elle choisi d’exercer sa toute-puissance sur lui précisément ? Il nous faut attendre les toutes dernières lignes de ce thriller amoureux pour le savoir et reprendre notre souffle.
Laurent Bettoni
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