Sade et ses femmes, Correspondance et journal, Marie-Paule Farina (2ème critique)
Sade et ses femmes, Correspondance et journal, juin 2016, 298 pages, 24 €
Ecrivain(s): Marie-Paule Farina Edition: Editions François BourinIl y a toujours une différence entre l’homme et ses écrits, et cette différence est parfois énorme. C’est ce que dit à nouveau clairement la réunion, sous le titre de Sade et ses femmes, Correspondance et journal, de Marie-Paule Farina où on trouve aussi bien les lettres de Sade à ses relations féminines que les réponses que lui adressèrent ces dernières.
Avec Marie-Paule Farina lorsque l’on quitte les écrits « canoniques » et littéraires du marquis de Sade pour entrer dans sa correspondance et son journal – enfin pour le peu qui nous en reste –, on entre vraiment dans un autre monde, celui de l’intime, découvrant l’homme qui est derrière ses écrits, l’homme véritable qui se cache derrière l’écrivain toujours hautement scandaleux.
Nombre de publications, aussi bien de la correspondance de Sade que de son journal ont déjà été effectuées. Citons notamment pour les éditions les plus récentes les Lettres inédites et documents rassemblés par Jean-Louis Debauve en 1991 (Ramsay/Pauvert), les 50 lettres du marquis de Sade à sa femme présentées par Cécile Guibert en 2009 (livre d’art Flammarion). Mais c’est peut-être la Correspondance du marquis de Sade et de ses proches (Slatkine, 1991) qui se rapproche le plus du présent ouvrage.
Le Journal inédit de Sade, sur les seules sept dernières années donc, a été publié par Gallimard en 1970 (aujourd’hui disponible en Folio). Le Journal de Charenton a quant à lui été présenté par Jean-Paul Bourre en 1993 (aux petites et éphémères éditions de Magrie). Marie-Paule Farina quant à elle a déjà publié un « essai graphique » chez Max Milo et participé au film de Marlies Demeulandre sur Sade.
Publier les lettres reçues et envoyées par le marquis de Sade aux femmes qui lui étaient le plus proches, qu’il côtoyait au plus près – mais pas que : on y trouve aussi des lettres à Gaufridy, son avocat et à quelques autres – n’est pas chose si aisée. Avec Marie-Paule Farina on entre doucement dans la correspondance de Sade, sélection précédée d’une présentation générale suivie d’une autre des différentes « femmes » de Sade, donnant pour chacune quelques lettres, suivies à partir de février 1977 et de son enfermement au donjon de Vincennes, regroupées sous le titre Jonas, d’une longue succession de lettres principalement entre Sade et sa femme Renée-Pélagie. L’ordre chronologique, entrecoupé de quelques indications biographiques (décès et autres) ou d’histoire, permet de rentrer dans le quotidien de la vie du marquis. On découvre alors une vie comme peut la vivre tout homme « normal », si je puis dire, en demande constante d’affection, exprimant son ennui de captivité, un marquis de Sade comme toute autre personne avec ses déboires, ses turpitudes et ses joies.
Sade et ses femmes, Correspondance et journal est le choix d’une femme, l’universitaire Marie-Paule Farina, amoureuse de l’écrivain (Marie-Paule Farina le dit clairement), sur les femmes qui ont compté, en bien ou en mal, dans la vie de l’écrivain. Si leur lecture s’avère parfois quelque peu ennuyeuse (surtout au cours de l’enfermement au donjon de Vincennes, avant que le marquis ne rentre vraiment dans ses écrits les plus scandaleux : on s’y perd un peu parfois dans cette accumulation du même sans grand changement, sans grande nouveauté, surtout « balancées » les unes après les autres sans aucun commentaire, aucune autre indication que la date de l’envoi de la présente lettre que l’on est en train de lire), finit néanmoins par dessiner un portrait de l’homme Sade et de sa vie en filigrane. Qui n’a pas lu la Vie du marquis de Sade de Gilbert Lely ou Sade vivant de Jean-Jacques Pauvert, pourra toucher la vie rocambolesque de Sade riche de toutes péripéties et déboires de toutes sortes.
Si on lit les lettres avec les dates de rédaction des écrits les plus importants de Sade en parallèle – mais pourquoi donc les avoir mises en fin (fin du chapitre Louis-Aldonze) et surtout, ne pas avoir indiqué les dates de rédaction des 120 journées de Sodome ?… – on suit alors très bien l’évolution de la pensé de l’écrivain. Subitement celle-ci devient en effet plus radicale, les années d’emprisonnement marquant de plus en plus son homme. Quelques lettres sortent du lot, comme ce brouillon, « billet à tiroir » sans date repris en 1980 par Gilbert Lely (page 206-207), ces lettres de juillet 1783, Sade étant alors en pleine rédaction des 120 Journées de Sodome (pages 217 à 221) ou ce récit « coquin » (page 226) et bien sûr la fameuse lettre sur la « vanille » et la « manille » (pages 238 à 241). Soudain le langage se fait plus cru. Sade, comme dans son œuvre – les écrits que l’on pourrait classer de plus légers et ceux, tellement forts qu’ils en sont toujours aussi scandaleux aujourd’hui – hésite entre la facilité, le fade, et le totalement « immoral ». Quant aux lettres codées, elles poussent parfois son lecteur à l’hilarité générale – sous couvert de tromper le relecteur des instances prisonnières.
Sade et ses femmes, Correspondance et journal de Marie-Paule Farina est en fin de compte un essai par procuration, un essai discret, à travers, par derrière et par les écrits du marquis de Sade et de ses correspondantes. Nous n’irons pas en dépouiller les raisons profondes, cela n’aurait aucun intérêt aujourd’hui, ou même psychanalytiquement, de cet essai présenté comme étant sensé répondre à la question « Sade était-il misogyne ? ». L’intérêt est bien ailleurs, tout ailleurs, dans les enseignements que pourront apporter la lecture de ses lettres et fragments du journal de Sade sur ses écrits et sur son œuvre.
Alain Marc
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