Rouge suivi de Monsieur Le, Emmanuel Darley
Rouge suivi de Monsieur Le, 111 pages, 15 €
Ecrivain(s): Emmanuel Darley Edition: Actes Sud/Papiers
« Ecrire Rouge »
Le théâtre est politique. Rouge, un des tout derniers textes de Darley avant sa mort en 2016, résonne comme un aboutissement du chemin qu’il emprunta, tout au long de son œuvre ; parti du roman et allant vers la scène du monde, celle qui parle des exilés politiques, économiques, des nostalgiques du bon vieux temps, des victimes de la flexibilité et enfin des femmes et des hommes qui veulent tout « faire péter ».
Ainsi écrire rouge, c’est à la fois écrire la pièce qui porte ce titre mais aussi, comme le dit Darley lui-même, écrire « sur la violence, sur le terrorisme », en se souvenant des années de plomb de la bande à Baader en Allemagne et des Brigades Rouges en Italie.
Darley en 66 scènes plus ou moins longues, fait entendre, tantôt sur le mode du dialogue, tantôt du monologue, ou de la longue tirade, les voix de « CEUX de ROUGE », d’abord en qualité d’individu (Elle, Lui, Irène, Serge, Markus, Angelo, Michel ou Claudine Capot) puis peu à peu, en qualité de membres d’un collectif, passant à l’action violente : « les Rouges ». D’autres personnages (secondaires) illustrent les injustices du capitalisme à l’œuvre tels que : Sidonie Payet qui travaille chez Casino et que son chef, Monsieur Denis, renvoie parce qu’elle a récupéré un cageot de fruits et légumes jugés pourtant périmés et invendables. Un mari délaissé par sa femme journaliste devenue activiste clandestine témoigne de son sort. Passent un vendeur d’armes, des témoins, des flics, une guichetière, une directrice de presse, un vigile, un homme riche…
« Ceux de Rouge », quant à eux, racontent au passé leur parcours, depuis le squat surnommé Quartier Libre, installé dans un hôtel particulier appartenant au père de l’un des leurs. « Au début » ils étaient des étudiants rebelles et progressivement, ils ont glissé vers la radicalité, la guérilla. Des bombes de peinture rouge sur les distributeurs des banques aux attentats. Ils ont des envies de meurtre (p.39) après avoir commencé « à se friter avec les flics ».
Ils entrent dans l’engrenage du braquage nécessaire pour financer leurs opérations, acheter des kalaches :
Rouge
Voilà
Tout en rouge (p.29)
Tout
Se faire voir rouge. Signer rouge. Ecrire rouge.
C’est ça je crois (p.30)
D’ailleurs dans ce passage de la pièce, les membres du groupuscule célèbrent en quelque sorte la couleur de la révolte et du peuple, selon une rhétorique à la fois conventionnelle mais aussi plus poétique :
Rouge face au brun
Rouge pour faire pâlir le bleu
Rouge pour faire mordre la poussière aux jaunes briseurs de grève
La petite société clandestine des rouges constitue en somme le point central de la théâtralité ; comme les personnages de théâtre, sont hors du monde, ainsi les terroristes jouent leur rôle dans l’espace resserré du plateau. Ils sont eux aussi des fictions, changeant de nom : Serge devient Abdel/ Blood, Irène, Clou, Claudine Capot, Colère, tandis que les personnages de « l’extérieur » parlent toujours avec la même identité. Ils ont basculé dans un autre monde, dans l’illusion terroriste, sœur de l’illusion comique.
L’écriture de Darley épouse en quelque sorte la même trajectoire que celle des pourfendeurs des banques : elle se fait au fil des pages plus sèche, lapidaire, ressemblant à une rafale de mitraillette avec ses listes de mots lancés d’une ligne à l’autre.
« Ecrire rouge, écrire autrement (p.66),
J’arrête.
Fini.
Terminé.
Pas non envie de ça.
Flinguer des gens.
Finir flingué.
Pareil.
J’arrête.
Stop.
Non »
Enfin, les membres du groupe pour certains renoncent à la violence armée, d’autres sont mis hors jeu mais à la fin de la pièce, le noyau dur persiste et signe. Ils ne sont pas vaincus puisque « La lutte oui continue » Darley lui s’efface.
On peut se reporter à une vidéo Viméo consacrée à une mise en scène de la pièce par M. Barthès. On retrouvera également d’autres chroniques sur les œuvres d’Emmanuel Darley dans La Cause littéraire.
Marie Du Crest
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