Rouge Alice, Sylvie Huguet
Rouge Alice, La Clef d’Argent, collection KholekTh, octobre 2013, 103 p. 6 €
Ecrivain(s): Sylvie Huguet
Un recueil de nouvelles peut se lire de la première à la dernière, mais tout aussi bien on peut en débusquer une par surprise, en fonction du titre, du temps qu’on a devant soi, ou de façon plus ou moins intrusive, en laissant faire, en se laissant faire, porter.
Ainsi, le titre de la deuxième nouvelle, Le renard bleu, s’est-il imposé et, de fait, il donne le ton : la cruauté, la barbarie de l’homme face au juste retour des choses : l’animal ne sait ni sacrifier, ni se venger mais il se souvient… et la porte s’entrouvre où tout se confond. Le fantastique atteint un monde différent, un univers parallèle où règles et raison s’inventent d’autres codes, d’autres noms, et où le lecteur est d’abord et au sens propre dérouté pour ensuite adhérer, faire corps :
« La sensation de chaleur est devenue trop vive. Il faut ôter cette fourrure, rafraîchir un peu cette figure rouge avant de soigner son maquillage. Chantal ne remettra le manteau qu’au moment d’ouvrir à Charles-Henri. Mais à présent les agrafes résistent, glissent entre ses doigts en sueur. Elle sent un fourmillement sous sa peau et soudain une piqûre à la nuque » (p.67).
Celle qui paraît la plus originale des nouvelles de ce recueil, La sève de Noël, baigne dans une atmosphère de conte, cependant précédée par une menace sourde, l’assassinat d’un grand sapin :
« Un fracas de foudre. Le voici gisant à terre jusqu’à la cime, six mètres de souffrance muette cloués au sol. De part et d’autre s’étalent les branches humiliées. Une douleur térébrante se concentre au pied du tronc, là où s’arrondit une plaie vive. Les racines dont il est amputé ne puiseront plus pour lui les sucs nourriciers ni l’eau de la terre obscure. Sa vie s’arrête ici, à l’aube des siècles qu’il ne connaîtra jamais » (p.81).
Et l’on se souvient de la dédicace du recueil où l’homme est appelé, désigné, montré du doigt comme « le bûcheron des bêtes et l’assassin des arbres » (Marguerite Yourcenar).
Oui, dans les deux cas – celui du végétal et celui de l’animal – on tue du vivant, du vif. D’un côté, les relations négatives entre humains et entre humains et nature sont grossies à l’extrême : incivilités, brutalités, viols, meurtres, sacrifices, braconnages, dépeçages, de l’autre côté – qui est aussi celui que traversent les rêves, ou que l’on traverse par le rêve –, se trouve un modus vivendi où l’homme retrouve sa place d’animal ou de roseau pensant, se fond, et y consent.
Anne Morin
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