Robinson des improbables, Gilles Lapouge (par Philippe Chauché)
Robinson des improbables, Gilles Lapouge, textes établis et présentés par Éric Poindron, Le Passeur Éditeur, 2023, 242 pages, 15 €
Edition: Le Passeur
« Chaque jour, j’écrivais et nous confrontions cette vie imagée. Gilles reprenait le stylo, précisait, ajoutait une anecdote et me rendait le texte. Comme une amitié à quatre mains. À la fin de cette aventure, Gilles me confia en lisant le manuscrit : “Quand tu racontes ma vie, c’est encore plus beau que si c’était ma vie”. Ce qui n’était pas très compliqué avec une telle vie » (Éric Poindron, Préface).
« À force de fréquenter mes timbres, leurs fruits, leurs oiseaux-mouches, leurs capitales, et les tampons appliqués des facteurs du Congo belge ou du Balouchistan, je m’étais confectionné un projet de carrière. Je serais exotique ».
Gilles Lapouge fit donc carrière dans l’exotisme, sa vie s’y conjugua, de Digne à Dellys et Oran en Algérie, de Marseille à Aix-en-Provence, puis de Paris à São-Paulo, et de São-Paulo à Paris, auxquels on peut ajouter mille autres destinations pour ce « voyageur étonné » et qui n’a cessé de nous surprendre et de nous étonner par ses romans et ses récits.
Éric Poindron l’a donc écouté, longuement écouté se racontant et racontant : son enfance, le Brésil, ses livres, et les écrivains admirés et admirables. Écouter un écrivain n’est pas chose simple, il faut savoir s’effacer, se glisser dans le miroir de sa vie, tout en s’apercevant, au fil de la plume, de la main qui écoute, que deux vies se répondent, se font écho, deux regards affutés et malicieux, pour notre plus grand plaisir. Il y eu donc l’enfance, heureuse, et éclairante, il y eut l’apprentissage du journalisme, et sa fidélité au O Estado de S. Paulo, que la mort seule séparera, et la découverte des livres, des écrivains, car écrire c’est aussi ne pas perdre de vue ses fidélités et ses passions littéraires : Cervantès, Don Quichotte est un lecteur enragé ; Jean de La Fontaine, Le miracle du XVIIe siècle ; Marcel Proust, Jules Verne, Faulkner (le plus grand), Hemingway, l’ami Nicolas Bouvier, et Jean Giono, son compagnon des géographies imaginaires, « Un jour, dans quelques siècles, la Haute-Provence recouvrira exactement les géographies émerveillées de Giono ». Et puis il y a les livres de Gilles Lapouge, d’un Soldat en déroute (1963) à l’Atlas des paradis perdus (2017), et à chaque fois, Gilles Lapouge entre en piraterie littéraire, qu’Éric Poindron, autre pirate des Lettres, s’est piqué d’éclairer en quelques lignes à la fin de l’ouvrage.
« Gilles Lapouge aime à prendre la planète entre ses doigts et l’observer avec sa propre loupe déformante, en entomologiste incongru, comme Jean-Henri Fabre le faisait d’une cigale de Provence ou d’un scarabée inconnu » (Éric Poindron, Préface).
« Contrairement à l’Ecosse ou à la Roumanie, l’Amazonie n’a pas besoin de poètes romantiques, de donjons sinistres ou de pluie pour convoquer les spectres. Un soleil éteint, une rivière vaporeuse, les scintillements de la nuit suffisent pour que des troupeaux de fantômes apparaissent ».
Robinson des improbables est une nouvelle édition revue et augmentée du livre Gilles Lapouge, en toute liberté, paru en 2015, un nouveau livre. Depuis, Gilles Lapouge nous a quitté en 2020, et l’écrivain qui aimait le goût du souvenir aurait eu 100 ans l’an dernier. Ce Robinson des forêts, des rivières, des cafés et des bibliothèques est un admirable conteur, qui aimait la saveur des mots et de la vie, ses romans en témoignent, comme ils témoignent de sa passion de l’Histoire, d’une Histoire qui vivifie toutes les histoires qui peuplent les mémoires de ses lecteurs. Gilles Lapouge était un géographe qui inventait, comme son ami Éric Poindron, des routes, des rivières, des forêts imaginaires, couplées aux cartes d’explorateurs et d’aventuriers, qui dessinent des contrées à découvrir et à aimer et évidemment des livres, ces bouées du grand large.
Philippe Chauché
On doit notamment à Gilles Lapouge : Atlas des paradis perdus ; Nuits tranquilles à Belém (Arthaud) ; Le Flâneur de l’autre rive (André Versaille Éditeur) ; Le Bois des amoureux ; Le Bruit de la neige (Albin Michel) ; et Dictionnaire amoureux du Brésil (Plon).
On doit notamment à Éric Poindron : Le Fou et la Licorne (Germes de barbarie) ; Breughel, Des secrets dans la neige (Invenit) ; Comment vivre en Poète, 300 questions au lecteur et à celui qui écrit ; Comme un bal de fantômes (Le Castor Astral) ; et dans La Cause Littéraire : https://www.lacauselitteraire.fr/rencontre-avec-eric-poindron-par-philippe-chauche
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