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Revue Apulée, #9 Art et Politique, Collectif (par Yasmina Mahdi)

Ecrit par Yasmina Mahdi 10.09.24 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Revues, Zulma

Revue Apulée, #9 Art et Politique, Collectif, éditions Zulma, mai 2024, 416 pages, 25 €

Edition: Zulma

Revue Apulée, #9 Art et Politique, Collectif (par Yasmina Mahdi)

 

Création et pouvoir

Le numéro 9 de la Revue Apulée, riche de près de 90 contributrices et contributeurs, aborde ce qui fait lien entre l’art comme « invention permanente (ou pour le dire autrement work in process) et le politique, lieu [qui] n’échappe guère aux ressacs de l’histoire » [Hubert Haddad]. Et ce, en dépit d’une société contemporaine, travaillée et minée par l’« explosion des typologies identitaires, assignations sexuées, biologiques, communautaristes, ethniques [et de la] subite profusion de micro-intégrismes claniques » [Haddad]. La Revue Apulée propose un panorama des 20ème et 21ème siècles, du point de vue historique, anthropologique et esthétique. Ce qui semble transparaître ici, c’est le concept cher à Jean-Paul Sartre, celui de « littérature engagée », ou plus précisément de l’écrivain engagé, conscient, et le plus lucide possible ; l’engagement vu comme une obligation morale définissant une éthique dans laquelle l’homme est toujours responsable de lui-même.

Cette notion prend son sens littéral à travers des voix/voies autres, pluriethniques, dépassant l’ethnocentrisme occidental. L’art n’est pas neutre car porteur d’inclusion, ou au contraire d’exclusion, ou encore endogène ou bien exogène. À ce sujet, l’on pourrait se référer à la spoliation et au trafic d’œuvres d’art, des pillages perpétrés par les nazis et des rapts commis lors d’invasions coloniales et de guerres – voire l’intéressant entretien de Bénédicte Savoy sur la « translocation patrimoniale », un métissage. La fonction culturelle de l’art est ancrée dans un temps précis, historique, un rapport au pouvoir, tous deux s’altérant, leur message se brouillant au fur et à mesure des mutations des siècles.

L’écrivain souvent mis en avant comme le chantre de la poésie engagée est Mahmoud Darwich, car « il a tissé la conscience, la langue et le parler palestiniens d’une manière tout à fait unique et sans équivalent » [Elias Khoury]. Dès lors, cette « poétique du rien » (Darwich), « comment l’intercepter avec des mots, sans retour à l’acte poétique, infiniment vulnérable, évanescent, puisque voué à sauver notre impossible réalité qui n’est que langage » [Haddad].

Dans un tout autre registre, soulignons la traduction par Marc Petit, de la poésie allemande du 17ème siècle d’Andreas Gryphius et de Catharina Regina von Greiffenberg, contempteurs des horreurs de la guerre de Trente ans. Notons également l’hommage de Marie Bardet à Jean-Louis Cohen, lequel est connu comme un éminent spécialiste de l’architecture, discipline majeure qui consiste à concevoir des espaces et à bâtir des édifices, néanmoins dépendante de « l’hégémonie de l’état » – « l’architecture, métaphore du pouvoir » ; « l’architecture est une délégation du pouvoir », rappelle J.-L. Cohen. Ici, difficile de parler de neutralité. Comme l’écrit Georges-Olivier Châteaureynaud : « L’histoire est un grand hangar où la mort des morts tombe en poussière ». Nous voyageons de la Turquie à l’Albanie, puis en Amérique latine, en compagnie d’un autre auteur magistral, Miguel Angel Asturias, inventeur d’« une littérature de combat », puis en Méditerranée et en Pologne.

Des questions d’importance sont soumises aux lectrices et aux lecteurs telle la pérennité des œuvres d’art, leur visibilité au sein de différents systèmes économiques et politiques, les problèmes relatifs à la censure, les interactions entre création et pouvoir politique, etc. Nous pourrons lire de la poésie bulgare, dans les carnets de voyage du regretté Abdelwahab Meddeb, qui prosodie ainsi : « Incandescente clavicule plaie du cœur / sein écarlate fruits aux grains épars / sur les plaques des égoûts bondit le suc des fleurs / je me remémore la chute de la ville (…) ». Certaines fictions s’inscrivent dans le climat délétère des conflits mondiaux, dans la mémoire amère de l’exil, ou des retours impossibles (Catherine Zittoun), du calvaire des Kurdes notamment, du « massacre [des] Arméniens, Roums tués, désormais c’était le tour des Qizilbash (…) des milliers, brisés dans la gueule du loup » [Suna Arev], ou encore des poèmes-chants Inuit (peuple premier détruit par l’alcool et les suicides). Ailleurs, des textes concernant les arts plastiques, des récits-contes, de la prose, des portraits (traduits de multiples langues), tissent des relations subtiles et des visions personnelles dans un tour du monde actuel.

L’Algérie est à l’honneur, avec deux dossiers : l’un consacré à Max-Paul Fouchet, anticolonialiste « Normand transporté en Algérie [en proie à] la misère et l’injustice institutionnalisée » [Guy Dugas] ; l’autre à Taos Amrouche (la mémoire berbère), qui affirmait : « je ne suis, moi, que le canal par lequel passe un message qui ne doit pas mourir », et « certes, je chante pour l’Algérie, je chante pour exalter les génies tutélaires de nos montagnes. (…) Et je chante aussi pour le Maghreb tout entier. (…) Je chante pour le continent africain qui s’éveille dont l’unité ne fera que l’affirmer. (…) Et je chante pour la France que nous aimons (…) » – texte prémonitoire. La tragédie du Liban est évoquée sous la plume de la poétesse Nadia Tuéni, « spectatrice de la guerre » : « Beyrouth (…) Ses femmes aux yeux de plage qui s’allument la nuit / et ses mendiants semblables à d’anciennes pythies / À Beyrouth chaque idée habite une maison. À Beyrouth chaque mot est une ostentation ».

Un beau tableau d’Olivier O. Olivier illustre la couverture de la revue, ainsi que quelques photographies.

 

Yasmina Mahdi



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A propos du rédacteur

Yasmina Mahdi

 

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rédactrice

domaines : français, maghrébin, africain et asiatique

genres : littérature et arts, histoire de l'art, roman, cinéma, bd

maison d'édition : toutes sont bienvenues

période : contemporaine

 

Yasmina Mahdi, née à Paris 16ème, de mère française et de père algérien.

DNSAP Beaux-Arts de Paris (atelier Férit Iscan/Boltanski). Master d'Etudes Féminines de Paris 8 (Esthétique et Cinéma) : sujet de thèse La représentation du féminin dans le cinéma de Duras, Marker, Varda et Eustache.

Co-directrice de la revue L'Hôte.

Diverses expositions en centres d'art, institutions et espaces privés.

Rédactrice d'articles critiques pour des revues en ligne.