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Rêves de paysages, Claudine Bertrand (par France Burghelle Rey)

Ecrit par France Burghelle Rey 26.11.18 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Poésie, Éditions Dumerchez

Rêves de paysages, octobre 2018, photographies de Joël Leick, 12 €

Ecrivain(s): Claudine Bertrand Edition: Éditions Dumerchez

Rêves de paysages, Claudine Bertrand (par France Burghelle Rey)

 

Le titre du dernier recueil de Claudine Bertrand fait appel, de manière oxymorique, à la fois à l’imaginaire et à la réalité, annonçant celui de la première partie, Insolite Acadie, ainsi que le font les photographies suggestives en noir et blanc de Joël Leick.

Dès l’incipit, semblent se confondre les deux univers. N’est-ce pas là le propre même de la poésie ? Ce premier texte peut apparaître, d’ailleurs, comme une métaphore de l’écriture dans tout son potentiel :

Le ciel défait ma chevelure

délivre des sons

sur la plage offerte

Cette chevelure, l’artiste nous en offre un cliché où se trouve collé, dans un rectangle blanc et en majuscules, le mot « pluie ». L’eau lustrale évoquée par la photo permettra sans doute à la catharsis d’avoir lieu.

Le rythme ternaire des deux premières strophes est suivi par le mouvement ample de la chute, véritable de leçon de vie :

On s’entoure d’un premier élan

celui qui coûte le plus

Vie, en effet, qui s’exprime, conjointement au thème de l’amour, dans un beau champ lexical : frissondésirpalpitersensationsivretumulte intérieur. Le lecteur est plongé dans l’univers passionné qui a toujours été celui de la poète.

Mais, dans cet effort à faire naître les mots, point n’est besoin, une fois de plus, de nouveaux mots, d’un nouveau langage à décrypter pour celle aussi qui, même en errant – « je perds l’écriture », disait-elle dans le très bel opus A 2000 années-lumière d’ici (1999) – avait le verbe simple et l’alliance innée du son et du sens : « depuis le début des temps / je m’appelle Constance / malgré tout je me sens prête à décoller ».

La sensualité, signe encore de vitalité, est au rendez-vous d’une écriture qui ne se constitue pas de seules abstractions :

Ta chair filtre

la lumière…

Ta langue s’évade…

pluie de baisers

Mais la réalité est si violente que « le réel ne suffit plus ». Ainsi se clôt le premier volet.

La seconde partie, Dans un parc, s’ouvre sur deux photos de Joël Leick, un arbre-tronc et « des branches enchevêtrées / et inextricables ». Cependant, malgré la question qui suit à propos des nuages : « pourquoi la vie y réside-t-elle ? », la nature et les arbres, en particulier, sont source de joie et de paix : « L’hêtre rieur / comme le saule / reposent / dans l’écorce / de la planète ».

A l’occasion de vers écrits à la troisième personne, qui désigne, sans aucun doute, l’auteur et la narratrice, le lecteur avait, dès la seconde strophe, confirmation de l’importance des histoires, comme celle, par exemple, d’une « héroïne / emprisonnée ». Le texte-excipit reprend ce topos dans l’assertion d’une strophe :

Des histoires se répondent

et s’étonnent

d’une langue à l’autre

Avec son rythme souple et musical et sa concision silencieuse, la langue de l’écrivaine présente une maîtrise du vocabulaire, une simplicité de style souvent lapidaire et porté à la perfection. Ainsi les mots sont-ils pour elle au service de ce qu’elle a appelé depuis longtemps un « paysage ». Elle écrivait déjà en 1991 dans La Dernière femme : « je suis une perpétuelle voyelle dans ce paysage sans limite » puis plus tard, en 2005, dans Pierres sauvages : « un mot à la fenêtre / éclaire le paysage ».

Celui-ci appartient encore, bien des années après, à la définition même de l’espoir :

Un tressaillement

devant le paysage

qui délivre ses secrets

La poète est également ce passant en marche qu’accueille l’écureuil ou qui « croise un homme au hasard ».

Les années désormais nombreuses n’ont jamais démenti la poétique de Claudine Bertrand toujours animée, sur fond de panthéisme, par une énergie créatrice jubilatoire.

Aussi le livre peut-il se fermer, avec bonheur, sur une dernière photo de Joël Leick représentant un buste nu de femme recouvert de monnaie du pape.

 

France Burghelle Rey


  • Vu : 2004

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A propos de l'écrivain

Claudine Bertrand

 

(Montréal, le 4 juillet 1948 -) Poète, Claudine Bertrand étudie à l'École normale et à l'Université du Québec à Montréal, où elle obtient une maîtrise en études littéraires. À partir de 1973, elle enseigne la littérature au niveau collégial et collabore à diverses revues, dont notamment Montréal now ! ... Intervention, La Nouvelle Barre du jour, Les Écrits, Hobo/Québec, Possibles, Rampike, Doc(k)s, Mensuel25, Moebius, Estuaire, Écritures, Tessera, Bacchanales, et Acte Sud.

Elle est aussi chroniqueuse de poésie à la radio de l'Université de Montréal. Fondatrice de la revue Arcade en 1981, elle a dirigé les éditions du même nom et créé le Prix de la relève Arcade en 1991. Cette revue a été l’objet, en 1996, d’un colloque à l’Université Paris 8 (Vincennes) qui soulignait une contribution assidue aux échanges culturels France / Québec. C’est dans ce but qu’elle a créé, en 1999, la prestigieuse collection internationale de poésie «Vis-à-Vis», aux Éditions Trait d’Union.

 

A propos du rédacteur

France Burghelle Rey

 

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Rédactrice

Domaines de prédilection : poésie, littérature

Genres : recueils, essais, récit

Maisons d’édition les plus fréquentes : Gallimard, éditeurs divers

France Burghelle Rey est Paris, a enseigné les Lettres classiques et vit actuellement à Paris où elle écrit et pratique la critique littéraire. Elle est membre de l'Association des Amis de Jean Cocteau et du P.E.N. Club français.

Plus de cent textes parus dans de nombreuses revues et anthologies ainsi que plus de soixante-dix notes critiques(Nouvelle Quinzaine littéraire, Poezibao, Europe, La Cause littéraire, Place de la Sorbonne, CCP, Recours au poème, Texture, Temporel etc.).

Elle a écrit une quinzaine de recueils dont Lyre en double paru aux éditions Interventions àHaute voixen 2010 puis chez La PorteRévolution en 2013 suivi de Comme un chapitre d'Histoire en 2014 et de Révolution IIen 2016. Le Chant de l'enfance(Prix Blaise Cendrarsadultes) a été publié aux éditions du Cygneen juillet 2015, Petite anthologie, ( Confiance, Patiences et Les Tesselles du jour )chezUnicitéen 2017 et Après la foudrechez Bleu d'encreen 2018.

 

Les derniers textes augmentés de L'Enfant et le drapeau (à paraître chez Vagamundo), naissance rédemptrice d'un " ange " dans un monde en désolation, veulent exprimer l'expression d'une nécessaire présence au monde en souffrance. Elle achève en 2017 un recueil encore inédit en trois parties sur le thème du lieu puis en 2018 commence un récit poétique.

 

Elle a collaboré avec des peintres (Georges Badin) et la graveur Hélène Baumel pour un certain nombre de livres d'artistes.

L'un des ses romans, le premier,  L'Aventure, est publié chez Unicitéau printemps 2018

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