Retour au royaume, Françoise Lefevre (par Philippe Leuckx)
Retour au royaume, Françoise Lefevre, février 2021, 160 pages, 15 €
Edition: Jacques Flament Editions
Le dernier livre de Françoise Lefèvre en hommage à Pauvert et à l’écriture. Celui qui a enjoint Françoise à écrire, en 1972, celui qui la publia à cinq reprises, est au centre du livre, lui qui, quelque temps avant son grand départ, prit connaissance de sept des feuillets qui constituent Retour au royaume. « L’enchantement, c’est peut-être ce qui reste quand on a tout perdu… » (p.58).
« La joie retrouvée… Mais aussi le droit de dériver en toute conscience dans les méandres d’une rivière sans nom, maîtrisant ma barque pour l’amener là, où je veux, et non pas là, où ils voudraient » (pp.119-120). De Pauvert à Jacques Flament, de 1974 (année de parution du premier livre, La Première habitude) à 2021 (année de parution de Retour au royaume), Françoise aura livré dix-sept autres livres. Les lecteurs retiendront peut-être davantage Le Petit prince cannibale, en 1990, ou encore Un Album de silence, en 2008.
L’écriture de Françoise allie intensité et simplicité ; pour elle, c’est une ferveur, qu’il est parfois difficile d’exercer ; douze ans que l’écriture ne la portait plus. Ce « retour » à l’écriture, au-delà de l’hommage à Pauvert et à ses débuts en littérature (fêtés par André Hardellet), nous restitue une voix unique, qui sait comme pas une dévider les fragilités, les manques, les faux pas, les blessures du grand âge, et l’humanité inexpugnable de tout cœur qui bat, cœur de mère (quatre enfants), cœur de femme qui a fait de sa maison une gardienne de littérature, une demeure du silence. Elle y écrit toute sa vie « derrière soi », les années noires, le bonheur d’entrer en littérature, de vraies rencontres.
La demeure occupe ce livre. Le livre rempare toute la demeure. La littérature, la grande, s’y meut, comme le souffle régulier dans les instances du silence. On aime, lecteur, circuler dans la maison, happer cet enchantement, ces silences, cette mémoire intense des pierres et des meubles. Tout un travail d’archiviste attend Françoise Lefèvre, parce qu’il faut du passé « convier les vivants et les morts, les fantômes de toute une vie » (p.39). Aussi faut-il lutter, pour écrire et ressusciter ces pans de passé, mettre entre parenthèses « la vraie vie » qui brutalise, éloigne, enferme.
Mais le miracle n’est pas loin : tous les livres de l’auteur ont été écrits au pied de l’horloge, dans la même pièce de cette demeure de 1830, restée inchangée. L’injonction de Pauvert (« Ecrivez, Françoise ») aura fait naître ces « heures heureuses » d’écriture, « les minutes heureuses de mon existence » (p.20). Alors, dans la matière des songes, les galopades d’enfants dans la maison retentissent comme les souvenirs de pain chaud et de tartes aux framboises.
« J’entre comme je veux dans une chambre imaginaire » (p.43) : cette profession de foi, ce manifeste introduit le lecteur dans l’intimité d’une pensée, d’une vie. Chambre des amours, des enfants, des songes (cf. Andersen), chambre d’écriture pour « tenter de retrouver l’enchantement qui s’est enfui » (p.34).
L’écriture aura porté Françoise Lefèvre, en dépit des secousses, des aléas, des longs moments de vide perçu. Cette grande aventure est aussi le nerf moteur de ce livre, journal de toute une vie, en quoi l’auteur aura bien rempli le contrat que son premier éditeur lui avait donné : « ECRIVEZ ».
Philippe Leuckx
Françoise Lefèvre, née en 1942, révélée en 1974 par La Première habitude, a écrit depuis 18 livres. Mortel azur ; L’Or des chambres ; Le Petit prince cannibale ; La Grosse ; Un Album de silence, etc. Elle a reçu plusieurs prix littéraires (Goncourt des Lycéens, Bourgogne, Emile-Zola, Marcel-Aymé).
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