Ressources inhumaines, Frédéric Viguier
Ressources inhumaines, août 2015, 281 pages, 19 €
Ecrivain(s): Frédéric Viguier Edition: Albin Michel
Alors qu’elle avait 22 ans, elle a fait un stage dans une enseigne de la grande distribution. « Elle » n’a pas une personnalité bien remarquable, mais dans ce milieu, elle va apparaître adaptée. Très adaptée. Un instinct opportuniste qui lui permet de comprendre vite ce qu’il faut dire et faire, sur les meilleures façons de manipuler, de mentir, de trahir… pour simplement s’approcher des lieux de pouvoir et se faire accepter par ceux qui y siègent.
« Elle » n’a pas de nom car son identité semble bien se réduire à la place qu’elle occupe dans l’entreprise, à la fonction qu’elle y occupe et au travers de laquelle les autres l’identifient, la regardent et la reconnaissent : la stagiaire puis la responsable du rayon textile femme. D’ailleurs, avoir un nom, ou ne serait-ce qu’un prénom, ne semble pas très adapté dans cet univers. Les seuls personnages ayant un nom dans ce récit sont condamnés à sortir de la scène de l’hyper-marché, cet univers où les sentiments humains doivent s’effacer devant les stratégies rationnelles des individus, leur lutte pour les places, dans la hiérarchie comme sur le parking du personnel.
La première partie du récit nous conte l’irrésistible ascension de « elle », une ascension aussi méthodique et froide que l’air des frigos et des congélateurs du rayon alimentation. Nous plongeons en apnée dans le monde mécanique et dépourvu d’émotions du management moderne où contrôle, rendement et performance sont les maîtres mots du pouvoir, même s’il est souvent possible de truquer et de s’arranger avec les dispositifs de l’organisation rationnelle et les logiques des « ressources humaines » par la ruse… tant que personne ne vient vous dénoncer ! Seule petite lucarne d’humanité, le journal qu’« elle » tient, et où « elle » apparaît dans un amoralisme et un égoïsme très ordinaire… Qui est peut-être encore plus désespérant.
Puis, un jour, « lui » arrive, avec ses idées qui ne rentrent pas dans les modèles en place, « lui » qui n’a pas non plus de nom, mais qui existe en dehors et au-delà de cet univers clos qu’il va bousculer. « Lui » qui va entraîner « elle » sur des chemins inconnus, imprévus, incontrôlables. Celle qui avait tout compris si vite, comme l’on disait d’elle si souvent, va comprendre qu’elle n’avait peut-être pas tout à fait tout compris… Et tout, dans cet univers, absolument tout, a un prix. Les fidélités comme les trahisons, les erreurs comme les succès, les sourires comme les regards de travers, la distance comme la proximité… Le prix à payer pour gagner et perdre, pour perdre et gagner, « elle » va petit à petit le découvrir…
Une écriture sans effet où le narrateur joue avec la distance qu’il met entre lui, son récit et le lecteur, et qui transforme une vie terrifiante d’ordinaire en un destin au suspense attachant.
Marc Ossorguine
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