Rendez-vous à Biarritz, Mary Heuze-Bern
Rendez-vous à Biarritz, juin 2016, 36 pages, 4,50 €
Ecrivain(s): Mary Heuze-Bern Edition: Editions Louise Bottu
« Dans les brumes d’Ilbarritz tout se dégrade, de l’océan au ciel en passant par ces monts vagabonds, de France, de Navarre ou d’ailleurs, on ne sait plus, ce méli-mélo sans frontières il l’a déjà vu chez Turner. La Côte des Basques, ses rubans il les suit à la trace, bleus capricieux, verts mouvants, bandes rivales évadées d’un De Staël ».
Rendez-vous à Biarritz détonne dans l’univers policier de la littérature, ou s’il l’on préfère dans la littérature policière. Matière romanesque française depuis que Marcel Duhamel lui a offert une esthétique et une éthique au cœur du paquebot Gallimard, ce qui fut une belle révolution littéraire. Aujourd’hui cette littérature, qui n’est plus de gare – c’était pourtant une bien belle définition, qui répondait aussi à l’économie du genre, de petit livres, peu chers, et Louise Bottu renoue avec ce principe économique –, s’impose partout. Elle a gagné en renommée, certains diraient qu’elle y a perdu son âme. Elle est née d’une rencontre entre un voyou charmeur, un flic charmé, et un écrivain se rêvant, l’un ou l’autre, d’une enquête bâclée, d’une question souvent sans réponse, d’un doute mis en lumière, de traits et de hasards. Elle a pour théâtre des opérations, une série de meurtres inexpliqués et de disparitions, quelques trafics d’influence bien rémunérés, souvent dangereux, et un lecteur curieux et parfois pressé, elle offre cette palette de styles, comme on le dirait de crimes et de mobiles.
Mary Heuze-Bern connaît les règles du genre sur le bout des doigts : un contact invisible, mais précis, un rendez-vous énigmatique, une ville – Biarritz ville de toutes les fictions : l’Hôtel du Palais se souvient d’Orson Welles et d’Ernest Hemingway, et de toreros qui réservaient des suites s’ouvrant sur le large, le phare des dérives d’Alain Dorémieux (1), le Port Vieux, du troublant Hôtel des Amériques (2), le Casino, du Marquis d’Arcangues, et de Jean Cocteau (3). En trois temps, dix phrases, et deux mouvements, l’auteur signe un minuscule roman qui devient celui de Biarritz, et par rebond celui de la langue en mouvement, les marées du roman – la ville aux deux rochers, aux deux écueils, la ville qui disparaît sous le brouillarta, cet écart météorologique romanesque qui vient du large. Rendez-vous à Biarritz est une étrange et vive intrigue, qui s’évade dans les zones invisibles de la fiction, où sommeillent d’autres histoires et quelques monstres marins – qui sont dignes d’être montrés. L’auteur a l’œil juste et la plume aiguisée, c’est un écrivain leste, comme si écrire demandait la même légèreté que de monter sur une planche de surf et d’en user.
« Au retour du garçon, lui peut se consacrer aux huîtres et à ce petit guide, acheté au passage, près du casino de style Art déco, la Maison de la presse Darrigade en propose un grand choix, on y croiserait André, certains jours, le Lévrier des Landes en personne, 22 étapes du Tour de France, champion du monde, Tour de Lombardie devant Coppi en larmes, un routier-sprinter de légende, aujourd’hui non, il ne viendra pas, je regrette monsieur, tentez donc votre chance demain ».
Alors, que va-t-il se passer, sous l’œil de Mary Heuze-Bern ? Une voix appelle, un certain Delenda – un fantôme, une voix sortie on ne sait d’où –, une injonction – détruire ! – lui à l’autre bout du fil, Lui pour l’identifier – c’était du temps où les téléphones avaient un fil et un répondeur à l’autre bout –, Lui est donc chargé d’aller à Biarritz voir ce qui s’y joue, ce qui va s’y jouer, une mission impossible. Il a rendez-vous avec l’océan, le vide – le vieil Océan ! –, la chambre 120 de l’hôtel May, qui s’ouvre sur le large – la 120 en met plein la vue –, et des changements de décor, on passe du bleu au blanc cassé, du May au Mariona, avec des airs de Prisonnier, et du Fantôme de l’Opéra, avec un constat : tout tombe à l’eau et y retourne. Et comme d’évidence Mary Heuze-Bern sait nager, elle nous amuse avec son intrigue et ses jeux de phrases, et elle s’en amuse. Elle multiplie les pistes, les champs, chants du possible et de l’impossible, le réel, c’est la ville et encore rien n’est sûr, le reste, un rhizome vivace où le français se frotte à l’espagnol, langues côtières, elles portent en elles ces racines de minuscules fictions, que l’auteur croise et tisse, comme l’on nage entre les algues et les requins.
Philippe Chauché
(1) Promenades au bord du gouffre, Présence du futur, Denoël (qu’il serait judicieux de rééditer)
(2) Le film d’André Téchiné est tourné à Biarritz (il mérite d’être vu et revu)
(3) Ils ont tous les deux fait partie du Comité d’Honneur du Festival du Film Maudit de Biarritz en 1949
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