Rencontre avec l’écrivain éditeur Arnaud Le Guern, que nous dédions à Clément Rosset (1), par Philippe Chauché
Arnaud Le Guern a écrit sur Jean-Edern Hallier (Stèle pour Edern),Richard Virenque (in Gueules d’amour),sur des chanteurs avec Thierry Séchan (Nos amis les chanteurs, dernière salve),ou encore sur Paul Gégauff (Une âme damnée),sur lui (Du Soufre au cœur et Adieu aux espadrilles),sur Vadim (Un playboy français),et enfin sur Frédéric Beigbeder (L’Incorrigible). Des romans, des biographies romancées, des romans biographiques, des esquisses de romans, avec à chaque fois une même constance, une même pate, que l’on pourrait définir comme un style français dans la tradition des Hussards, de Michel Déon à Jacques Laurent et Roger Nimier, sous l’œil amusé d’Antoine Blondin.
La Cause Littéraire : Ce style français évoqué ici vous convient-il ? Style et manière d’écrire et de vivre, dans ce que j’appellerais la légèreté tragique, et sans jamais que le tragique ne vitrifie le style. Lisons « J’aime les filles que je peux appeler ‘jeune fille’. Peu importe l’âge. Les nymphes se moquent des années » (Du Soufre au cœur), mais aussi : « Il nous parle d’une époque où les écrivains étaient les invités permanents du 7eart. Les commandes des producteurs tombaient du jour pour le lendemain. Des sujets stupides auxquels il fallait donner du nerf, de la tenue. Un mot pouvait sauver un film du ridicule » (Vadim, un playboy français), ou encore : « La légèreté de tes parures est la signature de l’été » (Adieu aux espadrilles). D’où vient cette passion française de la légèreté, et, d’où viennent ces intérêts affirmés pour ces écrivains et cinéastes, certains sont aujourd’hui oubliés, mal lus ou mal vus ?
Arnaud Le Guern : Même si les « Hussards » n’existaient pas, brillante invention de Bernard Frank dans un article des Temps modernes, j’ai lu – et je lis – et j’aime les écrivains que vous citez. Un peu moins Déon, sans que je puisse précisément expliquer pourquoi. Mon préféré étant sans doute Jacques Laurent, plus encore quand il signait La Bourgeoiseou La Mutantesous le pseudonyme de Cecil Saint-Laurent. Ces écrivains en effet avaient l’art dans leurs écrits et dans leurs vies, me semble-t-il, d’allier légèreté et profondeur, petites joies et mélancolie. Tout ce qui me plaît et, donc, me convient parfaitement quand vous évoquez « ce style français », que j’essaie toutefois de mêler à une approche « gonzo » de mes sujets. La légèreté, je la perçois donc comme une de nos dernières libertés, dans une époque de plomb.
La Cause Littéraire : Comment êtes-vous devenu écrivain ?
Arnaud Le Guern : « Ecrivain, disait un ami, c’est excessif ». S’il s’agit d’une profession, c’est la plus mal payée de France… Donc j’écris parce que je n’ai pas trouvé mieux que les mots pour esquisser des silhouettes et donner un peu de corps aux histoires qui me passent par la tête.
La Cause Littéraire : Pourquoi avoir écrit sur Gégauff, Edern Hallier, Beigbeder ou encore Vadim ? Vous rêviez d’être scénariste, auteur à succès ou encore cinéaste ?
Arnaud Le Guern : J’ai écrit sur Hallier parce que son cadavre encore fumant me permettait de faire du trampoline. Sur Gégauff et Vadim parce que, dans leurs genres et sans y toucher, c’étaient des génies. Sur Beigbeder, parce qu’une éditrice me l’a demandé, parce que Frédéric est un homme élégant – ce qui devient rare – et parce que j’avais envie d’écrire sur un beau vivant, en me jouant de son image publique.
La Cause Littéraire : En plus des Hussards, quels sont les écrivains qui vous ont marqué, passionné et même énervé ?
Arnaud Le Guern : Dans le désordre, sur le vif, avec des oublis : Paul-Jean Toulet, Françoise Sagan, Pierre de Régnier, Bret Easton Ellis, Léon Bloy, Jean de Tinan, Marc-Edouard Nabe, Georges Bernanos, Gabriel Matzneff, Jean-Jacques Schuhl, Homère, Paul Gégauff, Drieu la Rochelle, André Breton, Jay McInerney, Bernard Frank, Colette, Louise de Vilmorin, La Rochefoucauld … Je vous laisse imaginer celui, parmi ceux-ci, qui a pu m’énerver.
La Cause Littéraire : Il y a une photo amusante, où l’on vous voit aux côtés de Clément Rosset, Frédéric Pajak, Roland Jaccard, Frédéric Schiffter, Jérôme Leroy et Dominique Noguez, drôle de rencontre ? Vous avez des intérêts communs ? Joyeux dynamiteurs ?
Arnaud Le Guern : Alors que je viens d’apprendre la mort de Clément Rosset, j’ai repensé à cette photo et cette rencontre. La seule avec lui, d’ailleurs. Rosset, que je connais mal, mais dont j’avais lu Route de nuit(L’Infini, Gallimard), son carnet de dépression. Dans mon souvenir, l’art avec lequel il relatait les épisodes cliniques de cette période pénible de sa vie donnait une folle envie de l’imiter. Cette photo fait suite à un dîner organisé par Roland Jaccard. Je ne sais pas si nous étions de joyeux dynamiteurs. Par contre, j’ai toujours un infini plaisir à lire ou voir Roland – auquel je dois d’avoir écrit sur Paul Gégauff –, Jérôme Leroy, Frédéric Schiffter ou Dominique Noguez. Des hommes stylés, dans leurs mots et dans la vie.
La Cause Littéraire :Une citation de Paul-Jean Toulet ouvre votre roman Du Soufre au cœur :« Ce que j’ai aimé le plus au monde, ne pensez-vous pas que ce soit les femmes, l’alcool et les paysages ? ». C’est une esquisse de votre portrait ?
Arnaud Le Guern : Je ne sais si c’est une esquisse, mais je me reconnais volontiers dans ces mots de PJ Too Late.
Qu’aimez-vous le plus au monde aujourd’hui ?
Ma fiancée, ma fille et le souvenir de mes chats.
Que détestez-vous le plus au monde ?
La délation permanente à l’œuvre aujourd’hui, notamment sur ce qu’on appelle les réseaux sociaux. Incarnation très contemporaine de la bêtise crasse.
Et ce qui vous laisse indifférent ?
Le reste.
La Cause Littéraire : Vous vous présentez, sur la quatrième de couverture de Adieu aux espadrilles, comme éditeur et flâneur non salarié, c'est-à-dire ?
Arnaud Le Guern : Tout simplement que j’aime œuvrer avec des auteurs en vue de l’édition de leurs textes, puis accompagner la publication, mais que, depuis quelques années, je ne suis plus le salarié d’une maison. Ce qui désespère ma banquière, mais me laisse la liberté de flâner à ma guise, même si aujourd’hui j’apprécie ce port d’attache que sont les éditions du Rocher.
La Cause Littéraire : Quel rôle jouez-vous dans l’édition et notamment aux éditions du Rocher ? et chez Séguier ? En flânant vous cherchez des auteurs ?
Arnaud Le Guern : Au Rocher, je travaille depuis 3 ans avec Bruno Nougayrède, qui dirige la maison, et avec ses équipes afin de trouver et éditer de belles plumes, de bons textes, en littérature française mais aussi des essais, des enquêtes des témoignages. Chez Séguier, le plus chic des éditeurs, j’ai publié Vadim, un playboy français, et édité People Baazar, les mémoires de Jean-Pierre de Lucovich. Mais, surtout, Jean Le Gall, à la tête de Séguier, est un ami précieux, avec lequel les conversations sont toujours un plaisir. Et de ces conversations, parfois, naissent des idées de livres…
La Cause Littéraire : Enfin de quoi sera fait l’avenir littéraire d’Arnaud Le Guern ? Vous avez des projets ? Des livres qui s’écrivent en ce moment ? Finalement quel est votre état d’esprit en ce moment ?
Arnaud Le Guern : Des romans, des essais, édités par mes soins aux éditions du Rocher, sont à venir : Nager dans les dollars, roman à l’humour très noir de François Marchand, un portrait très personnel de Roger Federer par Thomas Sotto, puis à la rentrée : le deuxième roman de Vladimir de Gmeline, une déclaration d’amour à l’automobile de Thomas Morales, des nouvelles d’Eric Neuhoff … Entre autres. Quant à moi, je suis en train d’achever mon prochain roman.
Philippe Chauché
(1) Nous avons appris la disparition du philosophe Clément Rosset, le 28 mars dernier. Grand lecteur d’Althusser, En ce temps-là, de Schopenhauer, Philosophie de l’Absurde, de Nietzsche, et de Wittgenstein, amateur de musique, Mozart, une folie de l’allégresse, lui-même pianiste, cinéphile amusé, il a fondé sa pensée sur le tragique, le réel et la joie. Il a publié aux Editions de Minuit et aux PUF dans la collection Perspectives Critiques que dirigeait son ami Roland Jaccard.
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