Renaître par les contes, Le rire de la grenouille, Henri Gougaud
Renaître par les contes, Le rire de la grenouille, Editions du Relié, juin 2015, 192 pages, 18 €
Ecrivain(s): Henri Gougaud
Dans son avant-propos, Henri Gougaud mentionne que ce livre a d’abord été oral, plus exactement, il est « né de conversations avec [son] ami Benoît Chantre ». On n’en attendait pas moins du célèbre conteur qui d’ailleurs complète son ouvrage en nous offrant un CD rom de quelques contes dont il nous régale dans le livre.
Les contes peuvent-ils encore nous dire quelque chose de notre monde si effrayant fût-il encore ? Genre méprisé par les intellectuels, nous dit-il, il a encore tant à nous révéler. Et la démonstration qu’il en fait est un vrai régal ! Gougaud, d’abord conteur, se défend d’être un spécialiste mais il a des choses intéressantes à dire pour le bienfait de l’humanité. Dans un livre qui n’a rien de formaté, « il n’est pas un produit d’usine » mais « a poussé dans [mon] jardin », il nous délivre une leçon de vie empreinte d’une forte poésie et d’un métissage qui fait du bien à l’âme et au cœur.
Rien de plus anodin qu’un conte ? Pas sûr, nous dit-il. Les contes existent depuis la nuit des temps, ils continuent d’exister parce qu’ils ont quelque chose à nourrir en nous.
« L’importance d’une parole se mesure à la place qu’elle prend durablement en chacun de nous, à ce qu’elle fait bouger en nous, à la terre intime qu’elle remue et fertilise ».
Mais que pèse le conte dans le tumulte du monde et celui des informations dont nous sommes envahis ? « Entre l’ampleur et l’intensité il faut choisir ». Les contes possèdent par définition leur part de merveilleux et Henri Gougaud est celui qui sait magnifier ce merveilleux par la connaissance qu’il en a.
« Au coin de mon immeuble, sur le trottoir, une touffe d’herbe s’est frayé un passage dans une fente de béton. La vie c’est ça. Une incessante poussée vers le haut (l’inverse de la pesanteur, en quelque sorte), une impatience, une force qui sans cesse nous attire, qui nargue la mort, qui la nie même, qui la repousse tous les jours à demain. La vie, c’est le désir de perpétuer notre présence au monde. C’est aussi notre relation aux choses. C’est notre appétit, notre envie de ne pas en démordre. Or, les contes sont des nourritures ».
Contes merveilleux, contes étiologiques, contes d’avertissement et même contes paillards ! Le conte selon Paul Zumther est « un pré-littéraire », et c’est selon Gougaud « un être qui se souvient des racines », « un passeur de sève », « un serviteur de vie ». Selon lui, les contes ne visent pas à nous instruire ou nous informer, ils nous nourrissent. La vie n’est pas une énigme (que l’on peut résoudre), elle est un mystère (que l’on ne peut qu’explorer). Selon les indiens de la Cordillère des Andes, les contes sont des oiseaux « amenés par le vent dans les villages, ils nichent dans les arbres, comme de vrais oiseaux, ils viennent se percher sur la tête d’un homme. Cet homme croit qu’il se souvient d’une histoire mais non c’est l’histoire qui a faim d’être entendue ».
En Afrique également, le conte est une entité douée d’une force propre. Bien que oraux, ils traversent les siècles et les géographies. C’est en explorateur du mystère que Gougaud affirme que la fréquentation des contes l’a éloigné de tout dogme religieux. Il se dit agnostique. Aussi, malgré le mépris de l’intellectuel, et à l’endroit du conte il dit : « Soyez comme le conte, ne cherchez pas à être ceci ou cela. Soyez. Tout simplement, apprenez le verbe être intransitivement ». Quelque sujet qu’il aborde, Gougaud étaye son argumentation d’exemples pris dans les contes. Son propos se goûte tout autant que sa passion démonstrative. Il prône un retour à la source de l’oralité, contre l’omniprésence du rationnel dans nos vies et la prégnance de la recherche du pouvoir. Selon lui, la culture écrite ne suffit pas, elle ne parvient pas à nous sauver de la barbarie. La culture écrite doit s’allier la culture orale et non contribuer à son rabaissement. Vus comme naïfs, là où ils sont au contraire une conscience forte, ils contribuent à porter l’espoir et à nous dire de croire à nos rêves pour transformer l’humanité toute entière. Il renvoie ici à Okakura Kakuso, l’auteur du Livre du Thé qui dit : « Le conte, c’est de la force de rêve mise en mots ». Les contes peuvent-ils quelque chose contre nos angoisses présentes ? Oui, ils aident à l’accomplissement de la conscience.
« La seule réponse adéquate, imparable, vivante à la xénophobie, à la folie raciste n’est ni dans la loi ni dans les discours humanistes. Elle est dans les lits où font l’amour des gens noirs et blancs, blonds et bistres. Les contes savent et font cela depuis des millénaires. Ecoutons ces joyeux vieillards. Ils nous réservent encore de sacrées surprises ».
Contre la peur, contre la mort, pour la vie, les contes. Ils aident à ne pas désespérer. Ils portent réponse aux questions les plus existentielles, la mort par exemple longuement développée et présente dans les nombreux contes. Ils ouvrent partout dans le monde des portes de sagesse et de… tendresse. Gougaud exerce ses talents de conteur, émaillant le texte de récits savoureux et souvent drôles, porteurs de messages forts. A propos de la mort par exemple il dit : « Le fait est qu’apprivoiser la Mort la rend, si on peut dire, plus vivable, alors que la laisser, comme nous le faisons, prendre dans notre vie ses aises de sauvage tend à l’effet inverse ». Et même si de nombreux contes font preuve de cruauté, pas un seul de leurs personnages ne regrette d’être né. Il n’y a dans les contes aucune désespérance, aucun renoncement à la vie, bien au contraire. « Ce dont nous avons besoin le plus,constate-t-il : la force de vivre heureux malgré tout ».
Contre la tentation du religieux, pour retrouver des valeurs qui ne s’y trouveraient pas, Henri Gougaud appelle au retour des contes. « Il y a partout un Dieu des peuples, celui qui habite les contes invariablement proches de ses enfants et un autre, officiel, aux voies impénétrables, mais pour lequel on peut éventuellement mourir et massacrer sans vergogne ». Contre la peur, contre la violence permanente du monde, « les contes nous répètent depuis toujours que tout ce qui nous environne est aussi vivant que nous le sommes. Que le visible et l’invisible sont les deux seuls vrais pays du monde et qu’entre sans cesse on s’observe on se visite on va et vient ». Pour accéder au merveilleux, il faut croire au pouvoir des rêves, à la joie de vivre, et aux êtres du monde de l’invisible qui nous relient à notre enfance, « à ce temps de tous les possibles où nous vivions encore au bord de l’océan et de la mémoire ».
Je ne résiste pas au plaisir de vous offrir ce conte et l’anecdote qui résume probablement la défense de l’auteur, tant pour sa poésie que pour la leçon qu’ils contiennent.
« Il est dit que sur un rocher, face aux vagues de l’océan, est le conteur de tous les âges. Il raconte indéfiniment toutes les histoires du monde, et l’océan l’écoute et ronronne à ses pieds. Et il est dit aussi que cet homme est sacré, qu’on doit veiller sur lui, qu’on ne doit surtout pas interrompre ses contes. Car si quelqu’un, un jour, le forçait à se taire et à quitter son roc, personne ne sait ce que ferait l’océan.
J’ai prononcé ces derniers mots avec un rien de solennité, puis je me suis tu. Les enfants sont restés un moment pensifs, les yeux grands, puis un petit garçon m’a dit la mine grave : Moi je sais ce que ferait l’océan. Il envahirait la Terre. Je lui ai répondu qu’il ne fallait pas voir les choses aussi tragiquement, que l’océan n’était peut-être pas aussi méchamment coléreux qu’il le croyait. Il a ri. Il s’est écrié : Oh non, ce ne serait pas par méchanceté que l’océan envahirait la Terre, ce serait simplement pour retrouver son conteur. J’en suis resté stupide et vaguement honteux. Il avait mille fois raison. Il savait, lui, à l’évidence, que l’océan était un être vivant, et donc qu’il ne pouvait avoir de plus vif désir que de retrouver la bonté de cette relation infiniment intime qui unit deux êtres dans un murmure de conte. J’avoue m’être senti bien pauvre face au rire de cet enfant bientôt rejoint par les exclamations des autres, bien pauvre, oui, de n’avoir pu supposer qu’une guerre possible où il avait perçu un élan amoureux ».
« L’essentiel de nos vies se joue ailleurs que sur les territoires de la raison ». Les histoires, Henri Gougaud nous l’assure, ne sont pas un amusement, elles sont tout ce dont nous avons besoin pour nous sauver de l’oubli, de la maladie et de la mort. Sans ces récits, l’Humanité mourrait de froid…
Marie-Josée Desvignes
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