Regarde, papa, Eva Montanari (par Yasmina Mahdi)
Regarde, papa, Eva Montanari, février 2020, 36 pages, 14,90 € (dès 2 ans)
Edition: Thierry Magnier
Un conte animalier
Eva Montanari présente son dernier ouvrage, édité par Thierry Magnier, un album-jeunesse cartonné, à double-page, où sur la couverture de fin, se trouve abandonné ou jeté au sol un téléphone portable. L’illustratrice offre ainsi au recto et au verso de la couverture de l’album l’image de son sujet, titré d’une interjection familière : Regarde, papa. Des bulles et des rectangles aux contours souples relatent la journée d’une famille d’ours, plus exactement d’un père et de son fils. Tout comme les humains, un peuple animalier se livre à des facéties, s’émerveille à la vue d’un spectacle de cirque dans la rue. Trente-quatre scènes reconstituent les moments phares de la journée de l’ourson Théo, depuis le lever du jour.
Il est essentiellement question du problème du regard : celui porté par Théo sur son père, sur son environnement, et celui du futur jeune lecteur sur l’histoire de l’album. Les planches sont traitées graphiquement à l’échelle de la compréhension enfantine, avec un choix d’objets ordinaires, ceux de l’intérieur domestique – le lit, le rideau, les tableaux au mur, la table du petit-déjeuner, la salle de bain, le lavabo, les portes, le balcon, etc. –, et ceux, plus complexes, de l’extérieur : rues, bâtiments, magasins. L’architecture structure l’espace, et l’on suit le détail des aventures du grizzli et de son ourson. Cinq des illustrations de l’auteure italienne sont travaillées pleine page, et l’on peut y apercevoir par trois fois une église. Par ailleurs, le prénom de l’ourson prend sa racine au mot grec theos, dieu.
Le père ours offre bien des similitudes avec un père humain, obnubilé par les écrans de son ordinateur et de son portable. Le résultat fait qu’il ne participe pas du tout aux découvertes de l’ourson, son fils, et à son émerveillement face aux pirouettes de l’éléphant, des girafes, des singes, bref, des beautés de l’univers du cirque. Une ronde de divers mammifères, oiseaux, insectes, batraciens, reptiles, forme le public du cirque. Leurs expressions traduisent leurs sentiments. Un incident, que je ne révèlerai pas, se produit cependant pour déclencher l’attention – et le regard – de papa ours, qui se rend soudain compte des réalités et de son entourage.
Eva Montanari vient à la rescousse de notre société hyperconnectée (presque autiste), afin d’alerter les parents de l’interférence trop importante des connexions numériques dans l’existence quotidienne – le sous-texte subtil de la fable de Regarde, papa. L’on notera l’absence de la mère – autre phénomène contemporain de la famille monoparentale et des conjoints séparés.
E. Montanari utilise des crayons de couleurs pour le velouté des pelages, des plumages, et des coloris pastel. Les sols sont quadrillés, carrelés ou pavés. Certains dessins apparaissent en plongée, ce qui crée un dynamisme plastique, notamment lors des exercices de voltige des trapézistes. L’anthropomorphisation des animaux reste une belle initiative pour apprendre à respecter nos compagnons domestiques ou sauvages, et permet de rêver, de raconter des histoires aux enfants. Regarde, papa convie à retrouver l’amour et l’amitié du père pour le fils et du fils pour le père. Ainsi, la grande parade est l’occasion de fêter cette confiance rétablie et réciproque entre les deux protagonistes.
Yasmina Mahdi
Eve Montanari est née en 1977 à Rimini et vit en Italie. Après des études d’art, elle a illustré de nombreux livres pour enfants et exposé dans le monde entier.
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