Refaire le monde, Claude Minière (par Didier Ayres)
Refaire le monde, Claude Minière, Gallimard, mars 2021, 64 pages, 11 €
Poésie plurivoque
Ce petit recueil de poèmes de Claude Minière s’est présenté à moi de manière presque échevelée, hésitante, ironique et ambiguë. Cette poésie joue sur différents genres – au sens musical peut-être. Elle va du mythe à la poésie engagée (pour la défense du climat par exemple), d’un travail très fin vers le registre ironique ; en bref, de l’aria au récitatif, de l’andante au scherzo, de l’ostinato au moderato cantabile. Travail de compositeur tout autant que de tailleur, lequel coud à partir de patron – ici compris comme ton général de chaque poème, qui confectionne des chasubles spirituelles ou des chlamydes venues de la poésie grecque.
La déesse me fait un appel du pied nu
de son pied elle me fait toucher chaque lettre
elle fait d’elle une avance
et je suis son Hermès porteur d’airelles
c’est aussitôt l’herbe verte et les dalles de marbre
les courses folles
c’est aussitôt l’amour
la fraîcheur et le feu
puis le repos une coupe à la main
où frémit la rosée
Le poète agit en occidental et crée son œuvre au fur et à mesure qu’elle se manifeste. Elle n’est pas si contemplative, mais elle fait avancer des idées – l’écologie, la hiérarchie des arts, les relations de l’ancien au nouveau (très vieille histoire !). Ce faisant elle n’hésite pas à faire appel à l’esprit de légèreté, voire d’humour, travaillant sur l’ironie parfois – méthode philosophique, celle de Voltaire. Donc pas toujours sérieuse, cette langue est forte – vertu cardinale. La recherche n’est pas toute vouée à la forme, mais touche le domaine moral, des thèmes évangéliques et une foi dans la pertinence du ton à prendre. Cependant, ce n’est pas une poésie à programme.
On sait qu’on meurt
on aimerait autrement
il faut aussi préciser les pronoms
le on a sa raison d’être
parfois la deuxième personne
du singulier s’impose
« Shall I compare thee to a Summer’s day ? »
Te comparerai-je à un jour d’été
le nom dans son bouquet de mutations
l’incarnat de l’été
l’alphabet des voix
les champs magnétiques
mon mode de vie est critique mais sans méchanceté
Comme je parlais de musique, je dirais que cette prosodie, partition poétique, se calquerait mieux sur le Satie des titres loufoques, sans pour autant perdre la gravité, voire l’angoisse des Gymnopédies. Le maître d’Arcueil aurait aimé cette variété et ces poèmes sérieux quelquefois, appliqués à défendre des idées. Il en est de ce livre comme d’une partition dont les lecteurs sont auditeurs, capables de reconnaître la voix intérieure du poète.
Didier Ayres
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