Quinze causeries en Chine, Aventure poétique et échanges littéraires, J. M. G. Le Clézio (par Sylvie Ferrando)
Quinze causeries en Chine, Aventure poétique et échanges littéraires, mai 2019, 208 pages, 19,50 €
Ecrivain(s): J-M G. Le Clézio Edition: GallimardCes quinze causeries sur la littérature ont été données par J. M. G. Le Clézio d’août 2011 à octobre 2017, tout autour de la Chine, à l’initiative de l’écrivain Xu Jun, professeur à l’université de Nankin et traducteur de son œuvre. L’Avant-propos de l’auteur chinois retrace l’historique de la relation des deux hommes depuis la parution du Procès-Verbal en 1963 (prix Renaudot), écrit par un jeune auteur de 23 ans qui allait recevoir en 2008 le Prix Nobel pour l’ensemble de son œuvre. Retour de civilités amicales et institutionnelles, à cet Avant-propos répond un Final de Le Clézio intitulé « A Xu Jun, l’ami exemplaire ».
Les lieux où sont prononcés les discours forment dès l’abord du texte un véritable périple à la fois poétique et académique dans l’immense Empire du Milieu : Au salon du livre de Shanghai, A l’université de Nankin, de Yangzhou, du Heilongjiang, A l’université des études internationales du Guangdong, A l’occasion du 20e anniversaire de la revue Grands Maîtres, dans la ville de Lijiang, A l’université normale de Pékin (discussion animée par Mo Yan), Au Forum Boya sur la littérature à l’université de Pékin, A Wuhan, A l’université des sciences et technologies de la Chine centrale, A l’occasion de la fête des Ecrivains du fleuve Yangzi au Jiangsu, et enfin A l’occasion de la fête littéraire Dayi à Xi’an.
Chacune de ces causeries est un hymne au livre, à la fois support imprimé et vecteur de connaissances. On y trouve également un éloge de l’université, apparue, comme le livre, tardivement dans l’histoire de l’humanité, tous deux lieux de refuge de la liberté et espaces de résistance à la force brute. Les souvenirs personnels de lecteur et d’écrivain de Le Clézio alternent avec la célébration de la culture, de la mémoire et de l’imagination. En effet, au-delà de l’histoire et de la littérature chinoises, que l’auteur connaît bien, il s’agit aussi de disserter sur ce que la culture et la littérature offrent d’inter-national. « La littérature est un art de la lenteur » dans « un univers accablé d’images et d’informations contradictoires », la littérature permet de lutter « contre la périlleuse illusion de la mondialisation » qui recouvre d’indéniables progrès en matière de sciences médicales ou de technologie, mais ouvre la voie à un nouveau colonialisme, d’autant plus néfaste qu’il offre un visage humain.
Très jeune, Le Clézio a été attiré par la culture chinoise. En 1966, il a souhaité faire son service civil à Pékin en tant que professeur de français, mais c’est Bangkok qui l’a accueilli, ville où il s’initie à l’écriture chinoise. Au fil du temps, il devient fin connaisseur de la littérature chinoise, dont il célèbre la lecture des deux romans traditionnels majeurs, Le Rêve dans le Pavillon rouge, de Cao Xueqin, et Au bord de l’eau, de Shi Nai’an, auxquels s’ajoutent les contes de l’écrivain contemporain Lao She, Gens de Pékin. Les poètes élégiaques de la dynastie Tang lui sont également bien connus – Du Fu, Li Bai, Wang Wei, spécialistes de la délicatesse du sentiment.
Si la littérature est en marge de la morale – on songe aux personnages d’escrocs, canailles ou bandits créés par les plus grands écrivains –, elle est également indépendante de la vie, elle appartient à un monde virtuel. A la célèbre question des Surréalistes « Pourquoi écrivez-vous ? », Le Clézio préfère la réponse du romancier chinois Pa Kin, auteur de Nuit glacée : « Parce que la belle vie est toujours trop courte ». Les romanciers écrivent sur et d’après leur « sentiment du présent », fait de souvenirs, de réminiscences littéraires et de projection dans l’avenir. Il s’agit pour eux d’« ajouter de la substance à la vie pour lui donner une matérialité qui la sauve du néant ». Le Clézio engage une réflexion sur la nostalgie constitutive de l’écrivain, concept qui se traduit en langue chinoise par « le sentiment de l’automne » et en coréen par « l’odeur de l’eau ». Sans doute peu éloigné du narcissisme, le concept de « nostalgie » comporte une part de mémoire et une part d’imagination, de fantaisie, de fantasme, d’obsession. Le Clézio formule une très belle comparaison entre l’humain qui écrit et l’arbre, qui vieillit de l’intérieur, les couches superficielles irriguées par la sève étant les plus jeunes et, paradoxalement, celles qui apparaissent dans la création littéraire et artistique.
Proust et Lao She ont sans doute commencé leur existence en ayant l’œuvre qu’ils portaient en eux, œuvre chaque année dévoilée, révélée par chacune des parcelles écrites la mettant au jour. C’est pourquoi le travail d’écrivain, selon Le Clézio, « sied mieux à l’âge mûr, car il est fait de mesure et de modestie ».
Chez Le Clézio, l’aventure de la lecture/écriture s’enracine dans l’espace, dans le voyage vers un ailleurs, depuis Nice, l’île Maurice, l’Afrique et le Mexique, vers un lieu inconnu nommé « invention ». Une invention unique, personnelle et extra-ordinaire.
Sylvie Ferrando
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