Qui a tué Heidi ?, Marc Voltenauer
Qui a tué Heidi ?, septembre 2017, 448 pages, 21,90 €
Ecrivain(s): Marc Voltenauer Edition: Slatkine
Il y a un peu plus d’une année, un nouvel inspecteur entrait dans le champ des romans policiers et polars, Andreas Auer. Parmi ses caractéristiques, celle de vivre dans l’un des plus « pittoresques » villages des alpes vaudoises, un village se prêtant a priori bien peu à la perpétration de crimes. Mais l’auteur suisse Marc Voltenauer, fort de sa connaissance des grands polars « made in Sweden », en a décidé autrement et, après s’être installé dans ce village bien réel, qui a pour nom Gryon, l’auteur y a semé quelques cadavres ici et là : dans le temple, dans la fontaine, dans un chalet d’alpage… avec l’histoire de l’homme qui n’était pas un meurtrier mais qui connaissait l’histoire du Dragon du Muveran. L’auteur et son inspecteur à peine remis de cette première et éprouvante enquête vont se retrouver embarqués dans une nouvelle affaire où à nouveau les morts se multiplieront, faisant fi des paysages de carte postale.
Visiblement Marc Voltenauer est plutôt joueur et sème quelques fausses pistes dès le titre. C’était déjà le cas avec Le Dragon du Muveran, où l’on ne rencontrait nul dragon. Ici, ne vous attendez donc pas à rencontrer la célèbre petite Heidi, héroïne emblématique des alpes suisses créée en 1880 par Johanna Spyri. Son nom résonne sur le roman, mais elle n’y apparaîtra pas. Par contre vous pouvez déjà vous poser la question : qui est cette Heidi dont la mort, vraisemblablement le meurtre, voire l’assassinat, va mettre le village en émoi ? Pour notre part, même si vous nous faites boire plusieurs « décis » de vin, même si vous nous plongez la tête dans l’eau froide de l’Avançon, nous ne révélerons rien. Sachez que cela pourrait peut-être avoir un lien avec un double assassinat commis à l’opéra de Berlin. Il se pourrait aussi qu’un tueur à gages ne soit pas étranger à l’affaire. A moins qu’il ne s’agisse d’une rivalité incurable entre paysans… ou d’un traumatisme d’enfance… Ce qui est sûr, c’est que tout va vite devenir bien compliqué et que les fausses pistes ne manqueront pas, pour l’inspecteur comme pour son compagnon Mickaël. Tous deux se retrouveront d’ailleurs dans des situations étranges, parfois presque burlesques, parfois dangereuses et dramatiques. Mais là non-plus, nous n’en dirons pas plus…
Ce que l’on peut dire de l’intrigue, diaboliquement embrouillée mais dans laquelle on ne se perd qu’en conjonctures, c’est qu’elle inscrit le petit village (à peine 1200 habitants quand les touristes sont rentrés chez eux, 8000 quand ils sont tous là) dans un contexte « mondialisé » contre lequel les montagnes et leurs alpages ne peuvent pas grand-chose. Si la Suisse est le pays des vaches, du chocolat et des stations de ski, il est aussi un pays où les banques et sociétés d’investissement sont aussi réelles que discrètes. Alors, dans un village où 80% des chalets sont des résidences secondaires, où l’or blanc est tout proche…
D’origine à la fois suédoise et allemande, c’est après un voyage où il a beaucoup lu, que l’auteur a pris conscience que le microcosme du village où il avait élu domicile était une sorte d’écho montagnard du port suédois de Fjällbacka dans lequel Camilla Läckberg a situé les enquêtes de Patrik Hedström et Erica Falck. Il n’en fallait pas plus pour relever le défi de l’écriture. Pour ce deuxième opus (qui nous annonce déjà le troisième), lors d’une rencontre au buffet de la gare de Gryon, Marc Voltenauer nous a avoué qu’il a travaillé sans compter sur la structure et le style de ce nouveau roman. Un travail qu’il a fait en collaboration avec une consœur romande, elle aussi, Marie Javet, auteure de La Petite Fille dans le miroir (un premier roman édité au Plaisir de lire, qui avait déjà accueilli le premier roman de Marc Voltenauer). Une quasi association riche d’échanges et de partages et qu’ils se plaisent l’un et l’autre à évoquer. La construction du récit s’appuie sur une écriture affûtée, épurée, précise, concentrée sans être pour autant elliptique. Si l’auteur n’était pas suisse, on se risquerait à dire que cela fonctionne comme une horloge ou une montre suisse, justement… Mais la comparaison et l’image sont un peu faciles et nous ne les utiliserons pas ! En tout cas, ce qui doit être dit et raconté est dit et raconté, avec la rigueur et l’efficacité de Litso Ice… de l’inquiétant et méthodique Litso Ice ! Avec cependant une touche d’humour et une décontraction que Litso Ice n’aura jamais (lisez et vous comprendrez). Nous plongeons dans un monde qui relève à la fois du policier classique et du roman d’espionnage, voire du thriller, et pas seulement du pittoresque local. Mais avant tout, lecteur, on se laisse petit à petit embarquer par le récit, qui bien vite ne nous lâche plus. L’art du romancier est art de conteur qui avec le minimum sait nous faire oublier le reste pour nous emmener de surprise en surprise, qui sait relâcher un moment la tension pour la reprendre, comme le pêcheur qui sait ferrer sa proie. On se laisse prendre avec un certain plaisir, ou plutôt avec un plaisir certain. On en laisse refroidir son « renversé » ! (un café crème avec plus de crème que de café).
Il se passe décidément quelque chose en terre romande, et le polar y prend racine et s’acclimate même très bien. Il s’y porte même de mieux en mieux. Marc Voltenauer, après Nicolas Feuz (Prix du meilleur polar au Salon du Livre de Paris 2015 avec Emorata), Joseph Incardona (Grand prix de littérature policière 2015 avec Derrière les panneaux il y a des hommes) et quelques autres, en est une preuve irréfutable (bien moins douteuse que les premiers indices que met à jour l’inspecteur Andreas Auer).
Marc Ossorguine
P.S. : Pour ceux qui seront pas trop loin des rives du lac Léman fin octobre, le festival Lausan’noir vous accueillera pour sa deuxième édition, avec beaucoup d’invités, des suisses, mais pas que…
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