Que Dieu me pardonne, Philippe Hauret
Que Dieu me pardonne, mai 2017, 208 pages, 18 €
Ecrivain(s): Philippe Hauret Edition: Jigal
L’Enfer, dit-on, est pavé de bonnes intentions, et ce second roman de Philippe Hauret illustre cette expression à la perfection. Ainsi, lorsque Mattis, un policier qui préfère parfois donner à chacun une chance de se racheter plutôt que de sévir, propose à Ryan Martel, un bourgeois rentier épris de grosses cylindrées et fan d’excès de vitesse, d’embaucher pour effectuer de menus travaux dans sa luxueuse villa, Kader, un jeune délinquant d’une cité sans charme, pense-t-il agir dans le bien des deux parties. D’un côté, on passe l’éponge sur les infractions du nanti, de l’autre, on trouve un job d’été à un jeune désœuvré un tantinet flemmard. Tout le monde est censé y trouver son compte, sauf que… Ryan Martel, unique rescapé du crash du Cessna 310 familial, n’a pas seulement hérité d’une grosse fortune dans cet accident. L’homme se trimballe, depuis, de sérieux problèmes psychologiques qui finissent par exaspérer à juste titre une épouse délaissée. Sauf que… Kader est toujours poursuivi par la haine de Dan, un flic raciste, coéquipier incontrôlable de Franck Mattis. Sauf que… Mélissa, la petite amie de Kader, rêve de quitter la cité, aspire à un avenir à l’abri du chômage et de la pauvreté et que Ryan Martel peut lui offrir de quoi satisfaire ses envies. Sauf que… la femme de Ryan Martel, lassée des tromperies de son époux, trouve Kader à son goût.
Tous les ingrédients sont réunis pour que la « bonne intention » de Franck Mattis vire au cauchemar.
À mi-chemin entre le thriller et le roman policier, Que Dieu me pardonne se révèle être un page-turnerd’excellente facture avec une mention spéciale pour le très court premier chapitre qui piège le lecteur et campe de manière magistrale, et non sans humour, l’un des principaux protagonistes de l’histoire.
Le rythme est enlevé, et Philippe Hauret contrôle de bout en bout la spirale mortifère implacable dans laquelle certains de ses personnages vont sombrer. Que dieu me pardonne n’est pas un roman à énigme, puisque le lecteur, au contraire du policier Franck Mattis, sait parfaitement qui commet des meurtres. L’enjeu est donc de maintenir le suspense jusqu’au bout en laissant planer la menace d’autres crimes, de créer des suspenses parallèles, d’attiser la curiosité du lecteur en suivant le policier en charge de l’enquête qui arrivera (peut-être ?) par ses déductions et son flair à identifier le coupable et à l’arrêter.
Pour ce faire, Philippe Hauret a recours à des procédés à la fois très contemporains et très classiques. Le côté contemporain du livre, c’est sa dimension sociale avec la confrontation de deux mondes, celui des quartiers résidentiels et celui des cités, avec au milieu des enquêteurs eux-mêmes divisés sur l’attitude à tenir face à des délinquants. Rien de bien nouveau, certes, mais le grand écart entre ces représentants de sociétés n’ayant pas grand-chose en commun repose sur des observations pointues et des situations décrites de manière fort crédible. Les oppositions font monter la tension. Il y a aussi chez Philippe Hauret une volonté de s’affranchir des codes du roman policier en mettant plusieurs personnages sur un plan d’égalité au niveau du récit, et de développer des histoires secondaires qui relancent l’attention, enrichissent l’intrigue, sans l’obscurcir. Le classicisme se perçoit dans l’engrenage des faits et dans certaines décisions du meurtrier que n’aurait pas boudé Agatha Christie, aussi surprenant que cela puisse paraître. La spécificité, voire l’originalité, c’est d’avoir apporté une dimension mystique à la psychologie du criminel, un psychopathe qui cite aussi bien le Nouveau Testament que Saint François d’Assise et se sent parfois en phase avec l’Être surnaturel.
Mais on retiendra surtout, en dehors d’un dénouement fertile en rebondissements et en surprises, le personnage de Kader comme une véritable réussite. Un traitement littéraire que l’on avait vu poindre dans le personnage de Sammy, l’un des héros du premier roman de Philippe Hauret, Je vis, je meurs, mais qui ici prend toute sa force grâce à un développement subtil et d’une grande intelligence. À l’instar du policier Franck Mattis, Philippe Hauret, avec une infinie tendresse, a donné à son personnage une énorme chance : celle de nous émouvoir et de nous pousser à vouloir le voir se sortir définitivement des galères et réussir son existence. Rien que pour cette « bonne intention », Que Dieu me pardonne est un véritable petit régal.
Catherine Dutigny
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