Quat’ saisons, Antoine Blondin (par Didier Smal)
Quat’ saisons, Antoine Blondin, juin 2021, 288 pages, 8,50 €
Edition: La Table Ronde - La Petite Vermillon
Les trois premiers romans d’Antoine Blondin (1922-1991) ont été ici même célébrés lors de leur réédition à La Petite Vermillon il y a quatre ans ; puisque cette honorable collection s’obstine à éloigner de l’oubli cet encore plus honorable auteur, célébrons donc le seul recueil de nouvelles publié du vivant de Blondin, Quat’ saisons (1975) augmenté de six nouvelles extraites du recueil posthume Premières et dernières nouvelles (2004, non encore réédité en poche). Une fois n’est pas coutume, plutôt qu’entamer nous-même la glose de Quat’ saisons, laissons l’auteur présenter son livre :
« Au fil d’une année, les voitures des quat’ saisons proposent sur les marchés un fouillis de primeurs contrastées en volumes et en couleurs. Il arrive pourtant qu’un œil sensible découvre une harmonie sous ces disparates : pommes de terre nouvelles, carottes nouvelles, tomates nouvelles… L’auteur de ce livre, à l’éventaire duquel on ne trouve que des nouvelles, tout court, ne souhaite pas autre chose. Il a choisi de remonter le cours des quatre saisons, de l’hiver au printemps, parce qu’ayant été cueilli à froid, il a essayé de terminer sur un coup de grâce ».
Permettons-nous de corriger : « terminer en état de grâce ». L’ultime nouvelle de Quat’ saisons, Nous rentrerons à pied, est en effet une histoire en suspens, la plus illustration possible de la notion de voyage immobile, tout en montrant la puissance de l’esprit humain, la puissance du rêve face au réel. Elle est belle, cette histoire d’un homme qui reste à quai tout en voguant sur les mers du globe, qui recueille un naufragé pour mieux le rendre à la vie. Elle est d’une grande fantaisie, celle qui allie un brin de folie à la profondeur de la réflexion – non pas la réflexion montrée, mais le résultat, anodin en apparence, prononcé du bout des lèvres, écrit du bout de la plume, de celle-ci.
Et les onze autres nouvelles ? Elles sont du même acabit rêveur, un rien détaché du réel, l’une narrant le désir de continuer à faire vivre un rêve ancien (émouvante Gloria, ou la beauté du mensonge offert tel un ultime présent de Noël) ; l’autre montrant la résolution quasi surréaliste d’un conflit de voisinage lié à une nuisance sonore (Petite musique d’une nuit, ou comment l’esprit de Noël transforme une machine à écrire en un harmonium) ; une troisième associant un mystère façon Kipling à l’esprit du Chevallier de Clochemerle (Métempsycose, ou le pouvoir d’une souris sur une Angleterre désormais sans Empire et aux portes du Marché Commun).
Cette poésie spirituelle n’empêche en rien Blondin de croquer les mœurs de ses contemporains, de pointer leurs ridicules – en particulier ceux du petite monde de la littérature, représenté par un certain « Merguez », personnage sidérant de fatuité apparaissant dans deux nouvelles : La Plume du paon et De midi à quatorze heures. La première voit Blondin se jouer des conventions narratives pour un pur et ironique marivaudage, dont le fruit sera une correspondance bien sûr publiée par la suite en guise d’œuvre ; la seconde parvient à carrément mettre en parallèle le choix d’un livre par un jury littéraire (le « Minerva », uniquement composé de dames) et le choix d’une prostituée par un auteur dans l’attente du verdict du dit jury. Humour et distance, et Blondin de croquer les mœurs littéraires mieux que personne !
Soit dit en passant, il est ironique de constater que La Petite Vermillon a orné la présente réédition d’un bandeau annonçant « Prix Goncourt de la Nouvelle 1975 », tout en concluant cette réédition sur une hilarante nouvelle, Une belle carrière, qui ôte toute crédibilité à la notion même de prix littéraire…
Qu’à cela ne tienne : dans Quat’ Saisons, Blondin tient effectivement la promesse lue dans son texte de présentation : une diversité de tons et de sujets (on pourrait aussi évoquer Posteriores Terrae, qui tiendrait uniquement du sinistre fait divers si ce n’était pour sa férocité et son ironie face aux possédants ; ou encore Trio en chambre, qui invente la conversion de Constance Mozart, à l’œuvre de feu son mari, par son second mari, von Nissen, et qui se conclut sur une forme d’épiphanie musicale), qui en viennent à former une unité.
Quant à savoir si ces nouvelles peuvent constituer une porte d’entrée idéale dans l’œuvre de Blondin, la réponse est réservée, bien que l’une des Autres nouvelles, La petite reine, combine de façon idéale le talent de chroniqueur sportif de Blondin et sa tonalité narrative spécifique : ces nouvelles sont plutôt à considérer comme des corollaires à l’œuvre romanesque de Blondin, où se déploie véritablement son talent narratif. Des corollaires de haute volée, nonobstant.
Didier Smal
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