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Quarante jours après ma mort, Samira El Ayachi

Ecrit par Theo Ananissoh 21.06.13 dans La Une Livres, Les Livres, Recensions, Roman

Quarante jours après ma mort, Editions de L’Aube, avril 2013, 228 pages, 16,80 €

Ecrivain(s): Samira El Ayachi

Quarante jours après ma mort, Samira El Ayachi

 

Le narrateur n’est plus. Oui, il est mort. A Paris. Il avait trente-cinq ans. Ses parents, en pèlerinage à la Mecque, sont injoignables. Même s’il est né en France, il n’est pas question de l’enterrer ailleurs qu’au Maroc, le pays de ses origines. L’oncle Ali est dépêché pour « rapatrier » le corps à Fès. C’est là, dans la maison familiale, au milieu des siens, des voisins, des amis, des curieux que le défunt va attendre pour ainsi dire pendant quarante jours le retour de ses parents avant d’être inhumé. Longues, très longues semaines au cours desquelles, pas une seconde, son corps et lui ne seront laissés en paix. Un… purgatoire !

« Dans le salon de la maison familiale, ils se tiennent là, hagards. Ils font de mon corps un fétiche. Ils m’entourent. M’épient. Me commentent ».

« Je ne sens pas leurs visages au-dessus de mon corps blanc. Je ne perçois pas la couleur de leurs vêtements. Je n’inhale plus les odeurs, le parfum de leurs fleurs. Mes yeux sont sourds, mes paupières restent closes et ma bouche, éteinte. Car je suis bel et bien mort. Mais c’est avec stupéfaction que je comprends que je vais tout entendre de leurs discours. Et que mon enfer durera quarante longs jours ».

Quel vivant a le réflexe de se cacher d’un mort ? Que craindre de ces yeux et oreilles désormais éteints ? On se racle la gorge sans se gêner, on pense à haute voix des reproches, des méchancetés, on reluque telle pleureuse… Homme invisible donc en quelque sorte, le narrateur assiste, effaré, au dévoilement de… tout. A commencer par ses propres mensonges et turpitudes qui ne sont pas minces. La famille et les amis, éberlués, voient surgir dans la maison mortuaire une, puis deux, puis trois et même quatre femmes (de toutes les origines possibles à Paris – juive, vietnamienne, noire…) qui affirment être, chacune, la compagne du défunt ! Deux d’entre elles sont même enceintes de lui. Mais ce scandale n’est qu’un début. Il est même moindre qu’un autre qui remontera lentement à la surface dans les dernières pages du roman… Oui, cette mort (soudaine, et pour cause) est une lave dévastatrice. Rien, au bout du compte, absolument rien ne va être laissé intact. Dar Jeddah, la maison de la grand-mère où le corps attend d’être enterré, prend ainsi un fort caractère symbolique qui dit l’ambition de cette jeune romancière de trente-quatre ans. Ce qu’elle ose dans ce deuxième roman est réellement remarquable. Habile, elle opte pour une écriture dont la poésie esthétise en quelque sorte une férocité qui sinon serait peut-être d’un réalisme commun. D’un bout à l’autre du roman, il y a une sorte de sur-réalisme (mot approximatif) dosé juste comme il faut. C’est bien un roman à idée qui est proposé. De quoi s’agit-il ? On l’aura compris : d’une mise au jour de tous les cadavres qui remplissent les placards, d’une mise à nu de l’échafaudage mensonger et contre la nature (ces mots-ci sont à souligner) sur lequel repose l’ensemble de ces vies de part et d’autre de la Méditerranée ! L’hypocrisie généralisée, le faux dans lequel, génération après génération, on s’enferme mutuellement, avec ses souffrances et ses drames insensés – comme cet affreux suicide de la grand-mère dans un puits.

« Depuis ma mort, chacun se hâte de décharger sa conscience en me rapportant comment, toute sa vie durant, il ou elle a manœuvré pour dissimuler une partie de son identité ».

 

Théo Ananissoh

 


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A propos de l'écrivain

Samira El Ayachi

 

Samira El Ayachi est née à Lens en 1979. Elle a publié en 2007 La vie rêvée de mademoiselle S. chez Sarbacane, éditeur jeunesse. Elle vit à Lille.

 

A propos du rédacteur

Theo Ananissoh

 

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Domaines de prédilection : Afrique, romans anglophones (de la diaspora).
Genre : Romans
Maisons d'édition les plus fréquentes : Groupe Gallimard, Elyzad (Tunisie), éd. Sabine Wespieser

Théo Ananissoh est un écrivain togolais, né en Centrafrique en 1962, où il a vécu jusqu'à l'âge de 12 ans.

Il a suivi des études de lettres modernes et de littérature comparée à l’université de Paris 3 – Sorbonne nouvelle. Il a enseigné en France et en Allemagne. Il vit en Allemagne depuis 1994 et a publié trois romans chez Gallimard dans la collection Continents noirs.

Il a aussi écrit un récit à l'occasion d'une résidence d'écriture en Tunisie, publié dans un ouvrage collectif : "1 moins un", in Vingt ans pour plus tard, Tunis, Ed. Elyzad, 2009.

 

Lisahoé, roman, 2005 (ISBN 978-2070771646)

Un reptile par habitant, roman, 2007 (ISBN 978-2070782949)

Ténèbres à midi, roman, 2010 (ISBN 978-2070127757)

L'invitation, roman, Éditions Elyzad, Tunis 2013

1 moins un, récit, (dans Vingt ans pour plus tard), 2009