Quand les voix dansent les cœurs galopent, Cédric Bonfils (par Marie du Crest)
Quand les voix dansent les cœurs galopent, juin 2019, 81 pages, 15 €
Ecrivain(s): Cédric Bonfils Edition: Espaces 34
Le dernier texte de Cédric Bonfils se présente comme un recueil kaléidoscopique de 25 formes qui font entendre les voix, les trajectoires humaines, les passages et les traces de destins d’adolescents ou de jeunes adultes. Des monologues, des dialogues, un quatuor, des répliques identifiées, des versets, des distiques, du récit, une strophe… comme autant de recherches pour approcher le réel transfiguré comme si le multiple seul pouvait donner la parole à ces inconnus en partance, à ces exilés aussi de leur langue. Si l’inscription éditoriale du volume annonce des « poèmes dramatiques », formule habitée par tout un pan de l’histoire du théâtre français, il est sans doute plus juste de parler de Théâtre-Poésie : matière langagière et parole articulée se donnant l’une à l’autre. Le titre, Quand les voix dansent les cœurs galopent, n’est-il pas le signe, le signifiant de la phrase-image, d’un proverbe (quand le chat dort, les souris dansent) réinventé et humanisé, premier moment de l’art poétique de l’auteur. La première citation en épigraphe est empruntée justement à l’art poétique de Guillevic.
La parole est matrice du texte. Les voix adolescentes « tchatchent ». La parole est le flot, le flux (p.14), le flow. Mais elle est surtout rythme et musique : le premier locuteur, casque sur la tête, écoute « ses langues ». Un peu plus loin, quelqu’un dit :
toi tu écris tes chansons et tu slames tu rappes
au studio du centre social
La musicalité implique la danse, celle invoquée dans le titre ou dans l’un des moments du livre (Comme une danse). Tout dans le texte fait ainsi mouvement : les personnages (dans la pure logique dramatique) ou mieux, ceux ou celles dont Cédric Bonfils façonne la voix sont des êtres du départ, de la traversée du désert, des exilés ou réfugiés, des étrangers qui sont un jour « arrivés quelque part ». Ils n’ont fait que quitter leur pays. L’un d’entre eux dit :
J’ai traversé les frontières, couru l’espoir (p.75).
L’unité de lieu paradoxalement réside dans l’impossibilité d’un seul lieu, d’un texte qui tiendrait en un seul morceau. La société occidentale contemporaine découvre sur son sol cette réalité d’hommes, de femmes, d’enfants à l’épreuve de ces itinéraires terribles en direction de Calais ou d’ailleurs. Il faut attendre le passeur après s’être séparé des siens. La littérature, le cinéma en témoignent.
Le dernier roman de Marie Darrieussecq, La Mer à l’envers, aborde ainsi cette question, mais à la différence de Cédric Bonfils elle adopte au fond le point de vue d’une petite bourgeoise française, Rose, confrontée à la découverte de migrants en perdition en Méditerranée et sauvés par l’équipage du bateau de croisière sur lequel elle passe ses vacances. Cédric Bonfils, lui, préfère inventer la parole poétique de tous ces inconnus qui racontent ce qu’ils ont enduré et ce qu’ils sont devenus là, dans ce pays-là.
Dans une manière de postface, il écrit qu’il s’agit bien de fiction mais nourrie de ses rencontres, de témoignages entendus ici ou là. Quelques phrases glanées – et écrire à son tour leur vie dans un « style simple et humble ».
Marie Du Crest
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