Quand la menthe pousse à Montréal !, par Amin Zaoui
La menthe pousse-t-elle à Montréal ? Pourquoi les jeunes Algériens, les garçons comme les filles, rêvent-ils de partir au-delà des frontières ? Pas uniquement les jeunes d’ailleurs, les vieux aussi. Tout le monde souhaite enjamber la mer. Sortir du pays. Quitter le village et la mère. Tourner le dos aux aïeux et à la montagne.
Et pourtant, nous avons un pays aussi beau que les autres terres d’Allah. Et nous avons une littérature aussi belle que les autres littératures du monde. Et nous avons trois langues, l’arabe, le tamazigh et le français. Et nous avons de belles femmes aussi belles que les autres femmes du monde. Et nous avons un soleil qui se lève et qui se couche à l’heure hivernale et à une autre estivale. Et nous avons des étoiles sur des têtes et des âmes pleines de dégoût ! Et nous avons du vin, du bon et du mauvais. Et nous avons des belles chansons. Et nous avons un désert vierge en forme d’un conte vivant. Et nous avons un Dieu qui nous guette, matin et soir, par le biais des yeux de ses deux anges fixés sur nos deux épaules, des yeux qui ne dorment jamais ! Et nous avons des fêtes nationales, d’autres religieuses et d’autres agricoles. Et nous avons des oranges. Et nous avons des olives et de l’huile d’olive. Et nous avons des banques (je ne suis pas sûr !).
Mais pourquoi est-ce que tout le monde rêve de partir, abandonner ce beau pays ? Ils veulent partir, ce n’est pas parce que le chômage gangrène le pays. Le chômage est un phénomène planétaire ou presque. Ils rêvent de quitter leur pays, ce n’est pas parce qu’il n’y a pas de liberté. Les autres pays, eux aussi, souffrent de toutes sortes de dictatures théocrate, militaire ou financière. Le jeune Algérien souhaite quitter ce pays vers d’autres horizons, d’autres cieux plus incléments que le ciel de son pays, parce que, tout simplement, il n’y a pas de vie dans son pays. On ne vit pas en Algérie, on décompte les jours. On ronge l’ennui du temps, heure après heure, minute après minute. L’Algérien rêve de quitter ce pays parce qu’il n’y a pas de vie vivante, palpitante. Les villes sont des fantômes. Les villages des amas de constructions. Les maisons des tombeaux. Les gens grignotent leurs jours au lieu de croquer leur pomme de la vie ! Nous avons un pays beau mais trop triste ! Mélancolique ! Sombre. Je ne suis pas pessimiste mais c’est la réalité amère d’un pays que je veux en miel. Toute société où le rêve ne pousse pas est une société violente et kamikaze. Prête au suicide. L’Algérien ne sourit pas ou pas assez. Ne rit pas ou pas assez. Il est grincheux. Nous vivons dans la société la plus islamisée, mais nous sommes, en même temps, une société hypocrite. La religion est devenue une façade, un visa d’hypocrisie sociale. L’Algérien veut partir de l’Algérie, fuyant cette hypocrisie généralisée. Il faut le dire : nous sommes le pays le plus consommateur de vin et de boissons alcoolisées et on n’a pas de bars, quelques-uns ! C’est l’hypocrisie politique mariée à la tricherie et la corruption. Les enfants de cette nouvelle Algérie ont soif, soif de la vie ! Ils veulent de l’art. De la culture. Du bon pain. Du rire. De la justice. Tout ce que demande un jeune Algérien : moins d’hypocrisie politique, moins d’hypocrisie religieuse, moins d’hypocrisie morale, moins d’hypocrisie intellectuelle et l’Algérie redeviendra un pays de vie. Une terre qui ne sera jamais abandonnée ou lâchée par ses enfants, les petits-enfants des chouhada et des moudjahidine. Les jeunes Algériens veulent s’exploser mais pas à l’image d’un kamikaze ! Ils veulent s’exploser de vie, de bonheur de la vie ! Et c’est possible, oui c’est possible ! La menthe ne pousse ni à Montréal ni à Stockholm. Elle pousse, certes, à Ghazaouet, à Tazmalt ou à Arris.
Amin Zaoui
In "Souffles" (Liberté, Alger)
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