Purge, Sofi Oksanen (par Anne Morin)
Purge. 2010. 21 €
Ecrivain(s): Sofi Oksanen Edition: Stock
« Purger : purifier par élimination des matières étrangères ».
Or, qu’est-ce que l’amour (pour Aliide) sinon cela, une « matière étrangère » qui l’envahit, la comble, l’obstrue.
Dans ce livre, bien sûr il est question de la malédiction d’être femme, une femme en territoire occupé, mais le cœur, le corps ne sont-ils pas aussi territoires occupés quand l’amour advient ?
Avant tout, histoire d’amour âpre, fou, rude. Aliide aime comme une bête, tombe amoureuse de Hans, et cela la conduit à la dénonciation, à faire en elle la part belle à ce qui la dévore, brutalement.
Ce n’est rien, trahir sa sœur, prendre ses biens et sa place, ce n’est rien, vendre, et ce n’est rien non plus tuer l’homme qu’elle aime si elle peut continuer à vivre avec lui, près de lui.
Car, croit-elle vraiment à cette « autre vie », à ce « nouveau départ » dans une ville qui les cachera, Hans et elle, et les engloutira dans l’oubli ? Quand elle lit le cahier secret où Hans avoue sa méfiance envers elle, Aliide hurle son amour déçu, perdu, elle le recrache comme on s’exorcise, comme si elle accouchait d’un enfant mort-né. Et dans le cagibi où elle cachait Hans jusqu’à l’improbable fuite, elle l’enterre vivant.
Histoire d’un amour absolu, vécu par une femme dépassée et qui ne sait comment s’en accommoder. Mais c’est ainsi, et désormais tout va s’enchaîner. Aliide s’emploiera, non pas à remplacer sa sœur auprès de Hans, mais à prendre la place de celle-ci. La détrôner.
Fin dérisoire de ce livre terrible, ultime revanche : Aliide sera enfin parvenue à devenir meilleure qu’Ingel, sa sœur, dans un domaine : la confection des conserves, et dans un ultime courrier à sa sœur, geste à la fois horrible et touchant, elle lui lègue son cahier de recettes. Pied de nez à l’indétrônable, surmontant ainsi, peut-être, l’amour, comme une peur enfin vaincue.
Anne Morin
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