Puisque voici l’aurore, Annie Cohen (par Jean-Paul Gavard-Perret)
Puisque voici l’aurore, Annie Cohen, janvier 2020, 125 pages, 14 €
Edition: Editions Des Femmes - Antoinette FouqueAnnie Cohen : reprendre, recommencer.
Après son accident vasculaire cérébral de 1999, Annie Cohen pense toucher le fond. Et cela est bien compréhensible. Le cycle de ses premières œuvres poétiques – dont les cinq volumes parurent chez le même éditeur que ce Journal – semblent faire partie d’un passé qui se referme sur elle. Peu à peu pourtant la vie reprend son cours en concomitance avec l’écriture et une activité plastique – en particulier celle des « rouleaux d’écritures ».
L’Amour y est pour beaucoup. Et c’est un euphémisme. Il va permettre à l’auteure d’écrire sa propre Torah pour chercher encore et encore l’introuvable selon une formule chère à Edmond Jabès : « L’écrivain choisit d’écrire et le Juif de survivre ».
Ecrire ne revient donc pas à opposer l’intelligible au sensible. Et pour Annie Cohen, contrairement à Jacques Lanzmann, la connaissance ne passe pas que par le premier terme. Le problème est de passer « du système à l’excès » (Bataille), de Hegel à Rimbaud, de Heidegger à Joë Bousquet. Si bien que l’auteure en dépit de ses affres et vicissitudes « tient », avance. Car si le « chemin est tracé, la route reste ouverte au-delà de la simple survivance ».
Comme tout grand écrivain, Annie Cohen s’expose à nu en un tourment que d’autres ignorent ou censurent. Mais créer ne revient pas simplement à se lamenter et claudiquer au devant d’une puissance qui envahit. En se sens, désarroi et espoir n’ont rien à faire là-dedans. L’éthique non plus. La bête n’est pas noire. L’âme pas lumière. Ne reste qu’une situation qu’il convient d’affronter dans l’intime et avec imagination pour ne pas couper le premier de son activation.
Dès lors, l’auteure écrit pour émettre ce qui est tout sauf de l’anecdotique, à travers un imaginaire, une sensibilité, une intelligence qui sont des actes et non de simples choses. Ce n’est pas seulement un phénomène de perception mais d’interrogation fascinante. Le Journal nous parle dans la mesure où il sollicite d’aller voir ce qu’il y a derrière. Cela peut paraître étrange mais n’est-ce pas ainsi que l’imaginaire d’un(e) auteur(e) parle à un autre imaginaire ?
D’autant que l’imagination de celle ou celui qui lit un tel livre n’est pas un simple abandon aux « reflets » d’une image. Elle reconstruit, remonte et met en correspondances ce qu’elle contemple de manière aussi inconsciente que consciente. A ce titre, le gain de ce livre, la nature même de son langage sont bien plus importants que ce qu’il narre. Transparaît un recommencement du monde.
Jean-Paul Gavard-Perret
VL 2,5
NB : Vous verrez souvent apparaître une cotation de Valeur Littéraire des livres critiqués. Il ne s’agit en aucun cas d’une notation de qualité ou d’intérêt du livre mais de l’évaluation de sa position au regard de l’histoire de la littérature.
Cette cotation est attribuée par le rédacteur / la rédactrice de la critique ou par le comité de rédaction.
Notre cotation :
VL1 : faible Valeur Littéraire
VL2 : modeste VL
VL3 : assez haute VL
VL4 : haute VL
VL5 : très haute VL
VL6 : Classiques éternels (anciens ou actuels)
Annie Cohen, née à Sidi-Bel-Abbès en 1944, a publié une vingtaine d’ouvrages. Et mène aussi une activité de plasticienne.
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