Pucelles à vendre, Londres 1885, William Thomas Stead
Pucelles à vendre, Londres 1885, 294 pages, octobre 2013, 22 €
Ecrivain(s): William Thomas Stead Edition: Alma Editeur
Pucelles à vendre est un livre singulier. Le titre tout d’abord, un titre accrocheur qui laisserait supposer que le texte est consacré à des scènes plus ou moins érotiques pour des lecteurs en mal de sensations ou en déficit amoureux… Il n’en est rien et les contempteurs d’une sexualité débridée ou les adeptes de la « moraline » seront déçus. Ce livre voulait justement aller contre une immoralité qui, à Londres, fit des ravages chez les jeunes filles, ou pire, chez les adolescentes. Qu’on en juge…
Si la prostitution a toujours existé, certains ont semble-t-il affiné leurs désirs en matière sexuelle, la prostitution « classique » ne parvenant plus à les satisfaire. On se tourne donc vers les femmes les plus jeunes, autrement dit les adolescentes, qu’on exige vierges. Et c’est là tout le scandale, puisqu’à une demande il faut répondre, on allait donc fournir des vierges à ces hommes exigeants et dotés d’un réel « pouvoir d’achat ».
Nous sommes à Londres dans les années 1880. La prostitution est comme dans toutes les grandes villes européennes très présente pour pallier les carences « amoureuses » des plus nantis, et pour contrer les ravages d’une pauvreté endémique. Londres semble s’être fait une spécialité en mettant sur « le marché » des jeunes filles vierges dans des conditions évidemment scandaleuses. On enlève littéralement les jeunes filles pour les « offrir » aux nantis.
La Pall Mall Gazette publiait en juillet 1885 un avis prévenant ses lecteurs que s’ils ne voulaient pas être scandalisés, ils ne devaient pas acheter la Pall Mall Gazette en raison des « effroyables révélations » qui seraient publiées les jours suivants. Et c’est un journaliste de cette gazette, William Thomas Stead, qui a enquêté sur ce scandale durant des semaines et dont la publication devrait servir au renforcement de la loi, qui va signer toute une série de témoignages.
Parce que tout se savait, mais tout était tu, les cris des jeunes filles étouffés par la culpabilité dont elles étaient accablées alors même qu’elles étaient victimes. Le procédé était parfaitement huilé. Des maquerelles repéraient tout d’abord les proies idéales correspondant aux « commandes » que les plus aisés avaient faites. Parmi les critères exigés, l’âge revêtait une importance particulière. Plus elles étaient jeunes, plus elles avaient de la valeur. Quant à la virginité, on s’en assurait avec un certificat médical ! Les jeunes filles, souvent des employées gagnant tout juste de quoi survivre, attirées par l’argent facile qu’on leur faisait miroiter, se laissaient convaincre de rencontrer un monsieur sans savoir à quoi elles s’exposaient. Si certaines se laissaient abuser sans rien dire, d’autres en revanche qu’on sentait récalcitrantes devaient boire pour ne plus se rendre compte du viol dont elles seraient victimes. Et quand l’alcool ne suffisait pas, un témoignage révèle que deux maquerelles maintenaient la pauvre adolescente pendant que le client faisait son affaire !
Le devenir de ces toutes jeunes filles n’étaient pas brillant. En effet la plupart, lourdes de toute la culpabilité d’avoir été l’objet d’une relation sexuelle forcée et victimes d’une pauvreté que la morale ambiante leur imposait, se sentaient perdues et finissaient par faire de la prostitution leur métier. Ainsi parvenait-on, en toute impunité, à perdre des jeunes filles que rien ne prédestinait au plus vieux métier du monde.
Guy Donikian
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