Proust Vermeer Rembrandt, Jean Pavans (par Philippe Leuckx)
Proust Vermeer Rembrandt, octobre 2018, 84 pages, 7 €
Ecrivain(s): Jean Pavans Edition: Arléa
Le spécialiste de Henry James consacre ici un petit livre à Proust et à sa manière de lier peinture et littérature.
Il paraît dans une collection précieuse et élégante, et la couverture occupée aux 2/3 par la reproduction de Vue de Delft, célébrissime tableau du grand Hollandais Vermeer, est une splendeur. De plus, chaque lettre qui compose les prénom et nom de l’auteur se voit gratifiée d’une couleur différente.
En tant que tel, le petit livre est composé de trois parties : un essai de Jean Pavans, La mort en sa peinture, la note de Proust axée sur Ruskin et Rembrandt et le fragment de La Prisonnière (ouvrage posthume, publié en 1923) relatant La mort de Bergotte.
L’essai de trente-trois pages mesure combien art – peinture, musique – et littérature ont une place de choix dans La Recherche. Bien avant Focillon, Proust s’est penché, avec Ruskin, qu’il a traduit et présenté, sur les liens complexes entre l’œuvre d’art et la propre lecture de soi.
Philosophie de l’art si l’on veut, puisque le futur romancier, dès ses travaux sur Ruskin, entreprend d’associer intimement deux univers qu’il va sans cesse explorer. Lorsqu’il s’agira d’écrire les derniers instants du romancier de fiction Bergotte, il s’appliquera à lui prêter le propre malaise qu’il ressentit en mai 1921 lorsqu’il visita au Jeu de Paume « L’Exposition hollandaise de tableaux anciens et modernes ». Vingt-trois ans plus tôt, il inventait – par une prescience extraordinaire – la visite, en octobre 1898, de Ruskin, fort diminué, du Stedelijk Museum d’Amsterdam pour y revoir, une dernière fois, ce Rembrandt sur qui il écrivit « tant de pages ardentes ». L’essayiste en profite pour rappeler le goût de Proust pour la musique de son cher ami Reynaldo Hahn, de Vinteuil qu’il créa de toutes pièces.
L’obsession du « petit pan de mur jaune » (mur ? auvent ? toiture ?) est le nœud de la description proustienne (« Enfin il fut devant le Vermeer, qu’il se rappelait plus éclatant, plus différent de tout ce qu’il connaissait… où il remarqua pour la première fois des petits personnages en bleu, que le sable était rose, et enfin la précieuse matière du tout petit pan de mur jaune »), remarquable de précision et d’intentionnalité, puisqu’au petit pan de mur dressé va s’opposer l’affaissement du romancier Bergotte, jusqu’à verser par terre.
L’obsession de la mort, du grand âge, du vieillard grimé traverse la note éclairante sur Rembrandt convoque Ruskin, texte de 1900, sur l’événement fictif de 1898. En soi, les thèmes préfigurent les recherches du dernier volume Le Temps retrouvé et sa fameuse matinée Guermantes, ses échasses, ses personnages retrouvés excessivement vieillis comme grimés pour un carnaval. Que l’on sache que Le Temps retrouvé fut avec Un amour de Swann la partie la plus surveillée par Proust, lue, relue, amplifiée, à rebours des autres volumes.
Voilà un petit livre qui ne finit pas de nous insérer au cœur des pages de La Recherche, avec beaucoup de science et d’érudition (de belles notes infrapaginales).
Philippe Leuckx
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