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Proust et le paysage, Keiichi Tsumori

Ecrit par Matthieu Gosztola 17.12.14 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Essais, Editions Honoré Champion

Proust et le paysage, Des écrits de jeunesse à la « Recherche du temps perdu », Keiichi Tsumori, 464 pages, 80 €

Ecrivain(s): Keiichi Tsumori Edition: Editions Honoré Champion

Proust et le paysage, Keiichi Tsumori

 

Keiichi Tsumori s’est – ému par cette idée – attaché à « reconstruire l’histoire de la conscience du paysage » de Proust « en parallèle avec ses expériences de voyage ». L’objectif de Proust et le paysage est – sans surprise – « d’éclaircir ce qu’est le paysage dans les écrits de Marcel Proust ». Et ce en faisant preuve d’un esprit de synthèse admirable, le critique prolongeant et résumant les études proustiennes qui ont pris en compte la nature, l’espace ou la géographie, et dont les plus notables demeurent : Géographie de Marcel Proust (1939) d’André Ferré, la thèse Landscape in the Works of Marcel Proust (1948) de Frances Virginia Fardwell, L’Espace proustien (1963) de Georges Poulet, Proust et le monde sensible (1974) de Jean-Pierre Richard et Un chasseur dans l’image : Proust et le temps caché (1992) d’Eliane Boucquey ; sans oublier les articles suivants : « L’attrait et l’appel de la nature chez Proust » (1969) de H. Kopman, « Combray entre mythe et réalités » (2001) d’Annick Bouillaguet et « Aurores, clairs de lune et autres couchers de soleil : le paysage proustien entre persistance du cliché et déconstruction du panorama » (2004) d’Anne Simon.

Et si Proust et le paysage est, dépassant l’indispensable synthèse, un ouvrage novateur, c’est parce qu’il offre au lecteur ce qui n’existait guère, à savoir « une vue d’ensemble » de la question du paysage dans les œuvres de Proust, y compris dans ses écrits de jeunesse, trop souvent délaissés par la critique.

Mais qu’entend-on exactement par « paysage » ? Cette notion semble aller de soi. Or, il n’en est rien. Le paysage est une « structure » (là est le maître-mot) de notre perception de la nature. Si le « pays » est le lieu naturel, le « paysage » est « une invention tout artificielle »*. « Le paysage est par conséquent une image esthétique du pays », résume Tsumori. « Les artistes l’assimilent et le représentent sous la forme de la peinture, de l’architecture, du jardin, de la littérature, et même sous la forme de la musique », parfois.

Comment le critique a-t-il procédé, pour ce qui est de son étude ? Héritier des romantiques et des réalistes, contemporain des symbolistes et des impressionnistes, Proust « a dû être sensible à la polyvalence du paysage ». Tsumori est parti de cette hypothèse, de laquelle est née la question suivante, absolument centrale dans la démarche du critique : comment Proust saisit-il le paysage et parvient-il à l’exprimer dans ses écrits ? Dans A la recherche du temps perdu, les paysages, qui se situent – ainsi que le constate Tsumori – aux antipodes de « la vulgarité sociale » et des « vanités de l’amour », sont un « facteur qui peut structurer l’esthétique du roman » : les personnages se déplacent d’un lieu à l’autre au moyen d’un petit chemin de fer, en voiture à cheval ou en automobile…

Et parce que le paysage n’est pas chez l’auteur de la Recherche un thème parmi d’autres, parce qu’il est avant tout un « motif-clé pour comprendre une esthétique qui évolue au fur et à mesure de la formation de l’écrivain », il s’agit de suivre – ce que le critique s’attache à faire – la description du paysage chez Proust au fil de sa vie. « Des écrits de jeunesse à la Recherche du temps perdu, on peut en effet entrevoir que le statut du paysage se complexifie, se transforme et se réforme, soit à travers les expériences de voyage, soit à travers les rencontres avec des artistes, des esthètes et des poètes ».

La visée de Proust et le paysage a donc été de mettre en valeur les tâtonnements de Proust pour saisirle paysage, tâtonnements qui ont conduit à ce que, in fine, l’écrivain parvienne à « associer » le paysage « au thème principal de son œuvre ultime ». Ont été, dans cette perspective, examinés en premier lieu des textes comme Les Plaisirs et les jours et Jean Santeuil, puis l’influence qu’a exercée John Ruskin paysagiste sur l’écrivain. Puis ont été analysés les paysages qui figurent dans la Recherche.La fine analyse qui nous est donnée de ces paysages permet au lecteur de se rappeler combien l’assertion de Sabine Mainberger dans « Proust et l’esthétique de la ligne »** est vraie : « La Recherchede Proust donne constamment des exemples d’une perception dégagée de ses fonctions pratiques. Il s’agit très souvent d’exemples d’une perception visuelle dans laquelle les objets naturels ou quotidiens sont transformés par un retournement en quelque chose qui n’est là que pour la perception. Le peintre Elstir se distingue par le fait que chez lui la vision est découplée du raisonnement ; mais sous les yeux du narrateur également des tableaux naissent en permanence : par le changement apparemment sans rupture et cependant radical de la façon de voir, sa vision transforme ses regards sur la mer en paysages, sur la table non débarrassée en natures mortes, etc. A cette fin, l’intelligence et l’impression sont dissociées, la vision est une connaissance du monde complètement autonome, égale au savoir ».

Et certains des paysages tels que les vit Proust, et tels qu’il les fait vivre dans et par l’écriture, ont une intensité comparable à celle suivant laquelle le clocher de Combray se donne à la vue, épiphanie sur laquelle revient Brigitte Mahuzier dans Proust et la guerre*** :

« En visite chez Gilberte au château de Tansonville, là où celle-ci lui était apparue, petite fille, comme une “vision […] qui dispose de notre être tout entier”, le narrateur soudain reconnaît, “dans le vaste tableau verdoyant” encadré par la fenêtre de sa chambre, le clocher de Combray. Non pas une “figuration de ce clocher”, précise-t-il (comme s’il pouvait y avoir erreur possible) mais le clocher lui-même qui “mettant ainsi sous mes yeux la distance des lieues et des années, était venu, au milieu de la lumineuse verdure et d’un tout autre ton, si sombre qu’il paraissait presque seulement dessiné, s’inscrire dans le carreau de ma fenêtre” ».

Oui : l’intensité, la force de ce qui est « presque seulement dessiné » et qui pourtant se grave en notre émotion, en la vie labile de notre émotion, sans retour et sans oubli possibles…

Il faut rendre justice à la méthodologie de Tsumori qui, dans son analyse, a toujours été « fidèle à la chronologie », tout en s’appuyant avec application et récurrence sur la critique thématique, cette méthode étant apparue au critique comme la seule à pouvoir « éclairer l’esthétique de Proust dans son entier, telle qu’elle s’accomplit dans le grand roman ».

Un certain nombre d’outils facilitent la lecture de cette thèse de doctorat remaniée : une bibliographie, ainsi que de nombreux index : index des noms de personnes, index des noms de personnages, index des noms de lieux, index des titres d’œuvres artistiques et littéraires (ainsi que des titres de périodiques), index des titres d’œuvres et de textes de Proust, index des thèmes et notions.

 

Matthieu Gosztola

 

* Cf. A. Cauquelin, L’Invention du paysage [1989], édition augmentée, Paris, Presses universitaires de France, 2000

** In Dir. Boris Roman Gibhardt et Julie Ramos, Marcel Proust et les arts décoratifs, Poétique, matérialité, histoire, INHA, Classiques Garnier, 2013

*** Honoré Champion, collection Recherches Proustiennes, n°29, 192 pages, 2014

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A propos de l'écrivain

Keiichi Tsumori

 

Keiichi Tsumori est Docteur ès lettres à l’Université Paris III-Sorbonne Nouvelle. Il a publié quelques articles sur Proust et Ruskin, Proust et le XIXe siècle dans des revues françaises et japonaises. Il prépare actuellement des articles sur Jean Santeuil.

A propos du rédacteur

Matthieu Gosztola

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Rédacteur

Membre du comité de rédaction

 

Docteur en littérature française, Matthieu Gosztola a obtenu en 2007 le Prix des découvreurs. Une vingtaine d’ouvrages parus, parmi lesquels Débris de tuer, Rwanda, 1994 (Atelier de l’agneau), Recueil des caresses échangées entre Camille Claudel et Auguste Rodin (Éditions de l’Atlantique), Matière à respirer (Création et Recherche). Ces ouvrages sont des recueils de poèmes, des ensembles d’aphorismes, des proses, des essais. Par ailleurs, il a publié des articles et critiques dans les revues et sites Internet suivants : Acta fabula, CCP (Cahier Critique de Poésie), Europe, Histoires Littéraires, L’Étoile-Absinthe, La Cause littéraire, La Licorne, La Main millénaire, La Vie littéraire, Les Nouveaux Cahiers de la Comédie-Française, Poezibao, Recours au poème, remue.net, Terre à Ciel, Tutti magazine.

Pianiste de formation, photographe de l’infime, universitaire, spécialiste de la fin-de-siècle, il participe à des colloques internationaux et donne des lectures de poèmes en France et à l’étranger.

Site Internet : http://www.matthieugosztola.com