Pronostic vital engagé, Jacques Cauda (par Murielle Compère Demarcy
Pronostic vital engagé, Jacques Cauda, Éditions Sans Crispation, mars 2024, 130 pages, 16 €
La radiographie n’est pas belle, ou si ! Terriblement fascinante. Voyez cette toile d’araignée se déliter sous elle comme on se délite s’oubliant : ainsi l’époque, dans son corps social politique et culturel déliquescent qui nous déchire et se désintègre, le symptomatique aujourd’hui qui nous aveugle et nous voit souvent si veules, impuissants, ainsi… Paul-Mario, drôle de type improbable et génial perfusé pour survivre au VivrÉcrire-Peindre quotidien dans la transgression de toute norme, quelle qu’elle soit, ausculte le corps défait de son Paris, le palpe, le scrute avec minutie, obsessionnellement et par effraction et, forçant les portes d’une libido prête à mouiller et faire mouiller les plus résistantes serrures, poursuit son œuvre criminelle (puisqu’écrire revient à tuer), « l’œil entre les jambes dans le trou ». Le fantasme rutile sur le tournebroche d’un imaginaire débridé, rosit entre les lèvres de l’étoile pleureuse rimbaldienne s’écoulant dans l’Oreille de l’univers et file dans sa ouate sidérale jusqu’aller tomber dans le lit de Pollock où s’y disloquer, l’amour écartelé, sadique, viril, viral !
On voyage ici par amour. On vertige, on orgasme, on chute, on se dresse, on s’imagine par Surfiguration le radeau de la Méduse contemporain sur lequel nous éructons ou rentrons l’amertume recyclée dans la grande centrifugeuse du cerveau jouissif, à la crête des vagues, des mots/maux de l’éternité retrouvée et buvons le concentré de « vert pituite » jusqu’à jouir encore au bord de l’agonie, revenir au jour malade, et recommencer l’absinthe insoluble qui nous dissout… sans succomber.
L’industrie pharmaceutique, les mercenaires de la Santé n’ont qu’à bien se tenir : on tombe outre, chez Cauda, venimum in cauda !
L’Œuvre caudesque acte la création iconographique iconoclaste – par le pastel gras des mots, le trait fulgurant Surfiguratif – du tissu vivant organique, des synapses abyssales de nos corps-cerveaux tout en rotations d’érotisme, traversés par les rayons X de l’Œil assassin (« C’est l’œil, dit Edmond Jabès, qui déclenche le vrai questionnement, l’interrogation des mille interrogations qui sommeillent dans la lettre sous les traits d’un regard assassin – Peindre, Jacques Cauda, éditions Tarmac).
Ecrire c’est donner à la mort une écriture du dedans dissoute dans les mots et le style, comme « peindre c’est donner à la mort une peinture du dedans dissoute dans la couleur et la lumière ». « Le style c’est l’autre » préambule « 1999 » la deuxième partie de Pronostic vital engagé. L’autre qui nous regarde, par qui l’on se fait regarder, l’image créatrice, poésie-picture qui nous fait VOIR, dans un face à face vertigineux, le miroir de la mort, celle qui nous couche et nous mange les yeux ; celle qui nous dresse, fétu d’être priapesque en marche ithyphallique vers notre supplément d’âme tango ou free-jazz.
Mais reprenons l’histoire, qui n’est qu’un prétexte. Paul-Mario, répondant au nom de « Thy », nous embarque dans une histoire vraie : « une fable avérée » : « un récit romancé ». Le personnage porte les masques de l’auteur-narrateur (Cf. In Cauda venenum, éditions Jacques Flament). Paul-Mario, peintre artiste de profession – qui « trempe donc son désir d’écrire tous les jours du jour et de la nuit » par une technique mêlant le trait et la couleur dans le même geste – vient de fêter ses quarante-trois ans. Il dessine, Avec des mots qui trottent : « Établir des identités secrètes par un deux à deux qui ronge et use les objets, au nom d’une centrale pureté ».
Sa démarche ? « Déplacer. Mettre les yeux dans les jambes ». Il se sait condamné : arrivé bientôt au terme de son voyage épique, « les Lestrygons cannibales lui bouffent le foie » !
Réveil. Qui chante en sonnant !
Ton enterrement est pour bientôt
Et dans le seigle tu fais l’idiot
Les résultats du labo sont sur la table de nuit. Posés à côté du verre. Vert pituite, sourit-il bêtement. Ils disent qu’il a le foie pourri…
Tralalalère…
Il jette un œil sur le dehors qu’il aperçoit de son lit. La rue Vilin dans le XXe arrondissement. Paris. Ou ce qu’il en reste. Paris disparu ! Paris foutu comme l’as de pique !
Dans un corps et un Paris foutu, ses amours aussi se délitent, comme une époque en fin de cycle. « Le vert atrabilaire inexorable comme la mort » dans la nuit du désabusement domine. Cauda, depuis son personnage en sursis, depuis « le roc de son énergie. (L’)abri anatomique » de son Atelier, n’épargne personne et dresse son constat impitoyable :
Après les Jeux Olympiques foutus comme l’as de pique, jeux de la catastrophe et de la merde globale, Paris, déjà fort abimé, nivelé, réduit, avili, par la maire Ubu-Hidalgo, a muté désastre, terre de désolation, val de la tuerie ! Notre-Dame a brûlé une seconde fois pour toutes ! Plus d’âme ! Plus rien ! Paris vidé de son sang, de ses entrailles, de sa renommée, de son salut, de son immortalité et de son éternité.
Le temps des malheurs contaminants est venu ! (…) La ville est passée aux mains d’un groupe horrible, parti de la mouche et de l’araignée !
Mais la vie, l’amour continue. Léa Doucey aka Léa Seydoux, « du monde des lyres et des harpes » existe ; vient à lui en route vers ses cuisses imaginées. Elle, Corse, un corps de rêve, écrit, et « sa vie ressemble à un roman de gare ». Jacques Cauda est un personnage de son roman en cours d’écriture. Nous y apprenons en même temps que Jean-Pierre Chevènement, les véritables motifs de son échec à l’élection présidentielle…
Murielle Compère-Demarcy
- Vu: 455