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Principes d’une pensée critique, Didier Eribon

Ecrit par Christophe Gueppe 01.06.16 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Essais, Fayard

Principes d’une pensée critique, mai 2016, 222 pages, 18 €

Ecrivain(s): Didier Eribon Edition: Fayard

Principes d’une pensée critique, Didier Eribon

 

Dans cet ouvrage, Didier Eribon nous offre une prise de recul sur son œuvre, à l’état actuel, un peu à l’image de Michel Foucault avec L’archéologie du savoir. Il nous propose une présentation de sa méthode, selon la définition qu’en donne Marcel Granet : « La méthode, c’est le chemin après qu’on l’a parcouru », formule qu’aimait à citer Georges Dumézil, et que D. Eribon reprend ici à son compte. Car il faut dire que cette formule est particulièrement appropriée à son œuvre, et à son parcours. En effet, les principes d’une pensée critique telle qu’il l’envisage sont au nombre de deux : le premier principe est déterministe, en ce sens que les existences individuelles et collectives ne peuvent se comprendre que par la force des déterminismes historiques et sociaux qui les constituent, le second est le principe d’immanence, ce qui signifie que nulle pensée ne peut prétendre échapper à la transformation sociale, c’est-à-dire à l’action politique. Elle est un produit de l’histoire, produite dans et par l’histoire. Dire cela, c’est se détourner d’une pensée qui se prétendrait intemporelle, et issue d’une nécessité naturelle. Or, c’est ce principe d’immanence qui donne son originalité à toute son œuvre.

Qu’il s’agisse (pour ne citer que quelques-uns de ses livres) de Réflexions sur la question gay, de La Société comme verdict ou, plus encore, de Retour à Reims qui sera suivi par Retours sur Retour à Reims, nous voyons se mêler le parcours d’une vie individuelle, à l’origine d’une auto-analyse, et celui d’une pensée théorique, la convergence des deux aboutissant inévitablement à la formulation d’une pensée critique. C’est ce mélange des genres, autobiographie et prise de recul scientifique, qui a souvent été mal reçu par ceux que Nizan appellerait des chiens de garde, porteurs de la doxa universitaire.

Cette place que l’auteur a accordée à son propre vécu, c’est celle qu’il a pu vivre dans sa chair au quotidien, du fait de son orientation sexuelle d’abord, mais aussi du milieu social défavorisé dont il est issu. Son homosexualité déclarée lui a valu de vivre, sans cesse, sous l’assaut des injures et de la stigmatisation, en véritable paria de la société. Lorsqu’il écrit Retour à Reims, c’est sa condition sociale qui a marqué toute son enfance qu’il redécouvre, et qu’il peut enfin analyser, plutôt que de se contenter de la subir. Cette analyse sera d’ailleurs à l’origine de l’incompréhension de son milieu d’origine, et notamment de sa mère, qui n’y verra qu’un affront personnel qui pourrait se résumer par cette exclamation : « Tu as honte de nous ! ».

Mais évoquer son histoire individuelle, c’est aussi le moyen de s’inscrire dans l’histoire collective. Car ce qu’il a pu vivre, c’est aussi ce qu’il partage avec tous les autres qui ont, de la même manière, souffert de cette même orientation sexuelle ou d’une condition sociale identique, et qui permet même de retrouver des affinités dans d’autres catégories d’exclus, comme les personnes victimes de discriminations raciales ou ethniques, ou encore les femmes qui doivent se plier à la domination masculine. Il en ressort un véritable statut commun, celui des populations minoritaires, où chacun peut échanger ses expériences, qu’il s’agisse d’auteurs comme Baldwin, Annie Ernaux, Simone de Beauvoir, Violette Leduc, Roland Barthes, et bien d’autres encore. Ce statut forge, en réalité, une véritable identité, qui elle-même correspond au verdict que plaque une société sur lui, et qu’il découvre. Tu ne deviens pas noir, mais tu l’es dès la naissance, comme le poids d’un héritage issu des normes sociales dont tu ne prends conscience que progressivement, et qui te suivra comme une seconde peau pendant toute ton existence, quoi que tu fasses. Cette identité, c’est celle par exemple que nous impose la psychanalyse, en la personne de Lacan, pour qui le modèle de penser œdipien ne permet d’envisager qu’une relation de couple dans le cadre de l’hétérosexualité, et qui cautionnera du poids de son autorité des pratiques sociales qui refusent le mariage (avec les droits qui vont avec) aux couples homosexuels, ou bien la possibilité de faire ou d’adopter un enfant (soi-disant pour le respect de son bon équilibre mental).

C’est tout cela qu’une pensée critique veut mettre au jour, en démontant les mécanismes de ces déterminismes sociaux, dont la pensée débouche sur une interpellation et une action, qui est celle d’une domination. On comprend alors qu’une telle pensée critique ne puisse se contenter d’un parti pris de neutralité scientifique, et que la réflexion, qui est une arme de combat, se trouve inextricablement liée avec l’affectif.

 

Christophe Gueppe

 


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A propos de l'écrivain

Didier Eribon

 

Didier Eribon est né en 1953 à Reims. Après avoir suivi un cursus de philosophie, il devient journaliste. La notoriété de ses publications sur la question homosexuelle mais aussi ses approches sociologiques et politiques lui ouvrent en France et aux Etats-Unis les portes d’une carrière universitaire : actuellement, il enseigne à Amiens. On peut retrouver toute son actualité sur son site personnel, didiereribon. blogspot.com

Autour du cycle du « retour » : La société comme verdict, 2009 Fayard, et Retours sur retour à Reims (entretiens) 2011 éditions Cartouche.

 

A propos du rédacteur

Christophe Gueppe

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