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Pourriture !, Philippe Lacoche (par Murielle Compère-Demarcy)

Ecrit par MCDEM (Murielle Compère-Demarcy) le 09.03.23 dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres

Pourriture !, Philippe Lacoche, Éditions Les Soleils bleus, novembre 2022, 88 pages, 10 €

Pourriture !, Philippe Lacoche (par Murielle Compère-Demarcy)

 

Il y avait eu L’Écharpe rouge, drame policier burlesque publié en 2014 par Le Castor Astral, interprété et mis en scène par le Théâtre de l’Alambic. Sélectionnée en différentes régions pour être produite à l’occasion de multiples manifestations événementielles comme des Festivals du théâtre, cette pièce nous avait fait rire et nous nous grattions la tête en nous disant : « mais oui… c’est ça… c’est tout à fait ça », comprenant que l’auteur mettait le doigt sur des choses sensibles de notre actualité pas tous les jours glorifiante, pas tous les jours reluisante. La réalité ne dépassait plus la fiction, mais c’est bien la fiction qui braquait un affolant projecteur sur les multi-facettes d’un réel dont nous sommes à nos dépens plus souvent les marionnettes que les acteurs. Un coup d’œil roboratif que braque derechef le romancier, journaliste et parolier, Philippe Lacoche, avec cette nouvelle pièce en trois actes, Pourriture !, dont une lecture théâtralisée a été présentée à La Comédie de Picardie à Amiens (direction Nicolas Auvray), le 6 avril 2022, sous la direction artistique de Jean-Michel Noirey (avec Le Théâtre du Monde Entier). Politiquement incorrecte, Pourriture ! nous interpelle comme nous avait interpelés L’Écharpe rouge et, sous les éclats de rire, incite à la réflexion…

Le Marquis des Dessous chics (titre de son alléchante et cendrarsienne chronique hebdomadaire dans la Presse, à la prose journalistique et littéraire si dépaysante et gouleyante) – alias Philippe Lacoche – décharge dans une pièce ubuesque contre la société ultralibérale et contre les excès d’un féminisme extrême. Si la caricature force le trait pour faire apparaître les dessous inénarrables de notre société, la farce dramaturgique force elle aussi le trait pour inciter le spectateur-lecteur à s’interroger sur la cohérence des circuits habituels empruntés par nos cerveaux formatés de consommateurs grégaires plus aveuglés que lucides et dont les excès servent à point l’intrigue d’une comédie « acide & culottée » au réalisme déjanté. Dans l’acte I, une ode à l’Europe des marchés : La marche des marchés (« une manière de fantaisie militaire très rythmée ») campe le décor :

 

Couplet 1

Vénérons l’Europe des marchés.

Celle qui ne sert qu’à consommer.

Refrain

D’la sociale, on n’en a rien à faire.

Nous c’qu’on veut, c’est juste faire des affaires.

Couplet 2

Merci bien, cher Raphaël Gutronc.

Ultralibéral, oui nous t’aimons.

Refrain

D’la sociale, on n’en a rien à faire.

Nous c’qu’on veut, c’est juste faire des affaires.

Couplet 3

Cassons en chœur les services publics,

Et tous les acquis d’la République.

 

De L’Écharpe rouge à Pourriture !, nous retrouvons quatre personnages : Mme Paule, tenancière du bordel Le Gros Cygne, Humbert Mulot, commerçant, collectionneur de prothèses de hanches et ancien membre des Jeunesses hitlériennes, le brigadier Mathis, de la Sûreté urbaine et ancien de la SFIO, l’inspecteur Dambrine – auxquels s’ajoutent Jehanne-Constance de La Tergnière, prostituée au Gros Cygne, fille d’une famille d’aristocrates en grande précarité, et Roberte Mathis, prostituée, fille du brigadier. La verve de Lacoche fait mouche dans cette pièce à l’absurde loufoque, plus politique qu’il n’y paraît. « Vous savez », affirme Humbert Mulot au début de la pièce, « les gens sont mercantiles ; on les achète avec trois fois rien ». Nous sommes dans le vif du sujet, dans le moteur de notre société. La suite achève de nous plonger dans l’ambiance :

 

Humbert Mulot : Nous sommes bien informés. Et, en fait, nous ne sommes pas très nombreux, nous les collectionneurs de prothèses de hanches. (…) Les collectionneurs de prothèses mammaires, eux, sont plus nombreux. (…)

Jehanne-Constance de La Tergnière : C’est répugnant ! Les hanches, passe encore, mais les seins !…

Humbert Mulot : Vous êtes trop sensible. C’est vrai que vous êtes une femme !

Jehanne-Constance de La Tergnière : Que vous êtes sot ! Seriez-vous phallocrate ? Heureusement que Roberte ne vous entend pas ; elle vous aurait griffé et mordu ! Moi aussi, je suis féministe, mais plus compréhensive. Je préfère Virginie Despentes à Kate Millett.

 

Dans une société mercantile gouvernée par un ultralibéral nommé Raphaël Gutronc dont le patronyme résonne sans ambiguïté par homophonie avec le patronyme du Président actuel de la République française (« Raphaël Gutronc est un président jeune et moderne »), des personnages aussi fantasques que cinglés déploient une gesticulation de paroles (« palabres ») aussi éloquentes les unes que les autres. Le couplet 8 de La marche des marchés qui reprend le programme du mouvement de Raphaël Gutronc, rebaptisé En course !, entonne : « L’Europe est une grosse culotte de peauQui taxe les pauvres et les prolos ». Nous comprenons que les affaires des personnages, qui tournent autour du commerce de la culotte de peau, filent la métaphore tout au long de la pièce en nous emmenant sur le rail d’une enquête policière, du premier acte (L’agression) jusqu’à l’acte 3, Le procès, en passant par l’acte 2, L’interrogatoire. Au milieu de joutes fleuries, des personnages excédés s’expriment, réglant leurs comptes avec l’Histoire (même s’ils répètent que « tout cela est de l’histoire ancienne »), réglant leur compte avec l’Actualité, se débattent sur une scène hors de contrôle, chacun tentant de sauver son épingle du jeu. Ce sont personnages qui tourneboulent dans un monde qui part à vau-l’eau, empêtrés dans leurs obsessions semblables à de vieilles lanternes qu’ils prennent encore pour des vessies dans leur culotte de peau usée. Germanopratins (« protoportuns »), féministes échevelées, citoyens déclassés, partisans de l’ultralibéralisme ou, au contraire, « de la défense des petits contre les gros », s’invectivent, menacent de porter plainte, jusqu’à se retrouver à l’hôtel de police dans le bureau de l’inspecteur Lucien Dambrine, l’inénarrable policier déjà sur le théâtre des opérations dans L’Écharpe rouge, pro-poujadiste (partisan de Pierre Poujade) « et absolument pas gutroniste ».

Le lecteur, non dupe, comprend vite que les personnages névrosés de cette farce sont moins les malades mentaux de cette comédie satirique que le monde contemporain lui-même, lourd, si lourd qu’il emporte dans sa chute et entraîne ses personnages à leur perte, dans ses marasmes et mascarades, dans le sillage de ses étoiles européennes. Les habitants de ce monde malade – en mal de repères, englués dans leur guêpier personnel, malmenés par des intérêts politico-économiques qui les dépassent et exploitent leur force productive à outrance ou attirés par des alternatives (politiques) aussi désastreuses qu’est désastreux leur passé aussi sinistre qu’un véritable champ de ruines – essaient ici en vain de redorer les statues par la salive âcre de leurs vastes déceptions. Et si ce sont personnages sur scène, pas sûr qu’ils ne renvoient bien plus qu’on ne croit à une certaine réalité contemporaine aussi dramatique que comique (est-on en droit de se demander) vouée au final à… peut-être faire se rejoindre un jour, sur la scène en live de la « vraie vie », les unités d’une tragédie que l’on s’amusait jusque-là à jouer et à interpréter fictivement simplement pour en déjouer/exorciser les possibles pires aboutissants ?…

Afin d’illustrer cette fable politique, le style de Lacoche n’a pas faibli d’un iota dans sa robustesse aussi enveloppante qu’un grand millésime Bourgogne rouge ou dans sa saveur aussi exquis qu’un petit blanc sec arrosant d’excellentes langoustines…, et ses images continuent d’être toujours aussi savoureuses, et ses personnages aussi hauts en couleur :

Lorsqu’il entend ces deux mots, Dambrine se dresse devant son bureau, hors de lui ; il a l’air d’un fou. Écume. Avale deux cachous et s’en fourre deux autres dans les conduits des oreilles.

Car il y a incontestablement « style Lacoche ». N’est-ce pas ce qui fait d’ailleurs la singularité des voix qui comptent et Philippe Lacoche, ou « Marquis des Dessous chics » n’est-il pas à lui seul un hussard des Lettres sur les chemins littéraires de ce 21ème siècle pas comme les autres ? Un hussard dont la devise, comme celle des siens, est : « Un coup d’épée (chez Ph. Lacoche : le tranchant de sa verve et le pittoresque de ses images dans la narration du réel), une porte qui claque et ne jamais se soumettre (chez Ph. Lacoche : pour sauver le monde et le cœur des hommes)…

Il y a toujours dans l’écriture de Philippe Lacoche « l’aphorisme expressif et pittoresque d’un Patrick Besson ; la verve mi-blues mi-rock d’un auteur bon vivant, nostalgique et décalé ; la prose gouleyante d’un Cendrars (…) ». On entend dans l’univers écrit par Ph. Lacoche des voix « lointaines comme une époque qui s’éteint sous les vents mauvais de la mondialisation totalitaire » ; des voix et une culture si françaises, si littéraires ; des voix chaudes ; la voix d’un Stendhal ou d’un Choderlos de Laclos, d’un Antoine Blondin ou d’un Roger Vailland, d’un Éric Neuhoff, avec l’ombre d’un Modiano traversant les rues de ses escapades et habité a contrario par la nostalgie d’instants et d’atmosphères qu’il n’a pourtant pas vécus… Une voix qui sonne juste, comme la voix de Cendrars, un matin d’avril, sous un ciel tabac gris caporal… Comme le caporal Blaise. Comme le Marquis PH.L. (alias Philippe Lacoche) » (https://www.lacauselitteraire.fr/les-dessous-chics-chroniques-du-courrier-picard-2005-2010-philippe-lacoche)

 

Murielle Compère-Demarcy

 

https://fr.wikipedia.org/wiki/Philippe_Lacoche

https://fr.wikipedia.org/wiki/Murielle_Compère-Demarcy

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A propos du rédacteur

MCDEM (Murielle Compère-Demarcy)


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Murielle Compère-Demarcy (pseudo MCDem.) après des études à Paris-IV Sorbonne en Philosophie et Lettres et au lycée Fénelon (Paris, 5e) en École préparatoire Littéraire, vit aujourd'hui à proximité de Chantilly et de Senlis dans l’Oise où elle se consacre à l'écriture.

Elle dirige la collection "Présences d'écriture" des éditions Douro.

 

Bibliographie

Poésie

  • Atout-cœur, éditions Flammes vives, 2009
  • Eau-vive des falaises éditions Encres vives, collection "Encres blanches", 2014
  • Je marche..., poème marché/compté à lire à voix haute, dédié à Jacques Darras, éditions Encres vives, collection "Encres blanches", 2014
  • Coupure d'électricité, éditions du Port d'Attache, 2015
  • La Falaise effritée du Dire, éditions du Petit Véhicule, Cahier d'art et de littérature Chiendents, no 78, 2015
  • Trash fragilité, éditions Le Citron gare, 2015
  • Un cri dans le ciel, éditions La Porte, 2015
  • Je tu mon AlterÈgoïste, préface d'Alain Marc, 2016
  • Signaux d'existence suivi de La Petite Fille et la Pluie, éditions du Petit Véhicule, 2016
  • Le Poème en marche, suivi de Le Poème en résistance, éditions du Port d'Attache, 2016
  • Dans la course, hors circuit, éd. du Tarmac, 2017
  • Poème-Passeport pour l'Exil, co-écrit avec le photographe-poète Khaled Youssef, éd. Corps Puce, coll. « Parole en liberté », 2017
  • Réédition Dans la course, hors circuit, éd. Tarmac, 2018
  • ... dans la danse de Hurle-Lyre & de Hurlevent..., éd. Encres Vives, collection "Encres blanches" , n°718, 2018
  • L'Oiseau invisible du Temps, éd. Henry, coll. « La Main aux poètes », 2018
  • Alchimiste du soleil pulvérisé, Z4 Éditions, 2019
  • Fenêtre ouverte sur la poésie de Luc Vidal, éditions du Petit Véhicule, coll. « L'Or du Temps », 2019
  • Dans les landes de Hurle-Lyre, Z4 Éditions, 2019
  • L'écorce rouge suivi de Prière pour Notre-Dame de Paris & Hurlement, préface de Jacques Darras, Z4 Editions, coll. « Les 4 saisons », 2020
  • Voyage Grand-Tournesol, avec Khaled Youssef et la participation de Basia Miller, Z4 Éditions, Préface de Chiara de Luca, 2020
  • Werner Lambersy, Editions les Vanneaux ; 2020
  • Confinés dans le noir, Éditions du Port d'Attache, illustr. de couverture Jacques Cauda; 2021
  • Le soleil n'est pas terminé, Editions Douro, 2021 avec photographies de Laurent Boisselier. Préface de Jean-Louis Rambour. Notes sur la poésie de MCDem. de Jean-Yves Guigot. Illustr. de couverture Laurent Boisselier.
  • l'ange du mascaret, Editions Henry, Coll. Les Ecrits du Nord ; 2022. Prélude et Avant-Propos Laurent Boisselier.
  • La deuxième bouche, avec le psychanalyste-écrivain Philippe Bouret, Sinope Editions ; 2022. Préface de Sylvestre Clancier (Président de l'Académie Mallarmé).
  • L'appel de la louve, Editions du Cygne, Collection Le chant du cygne ; 2023.
  • Louve, y es-tu ? , Editions Douro, Coll. Poésies au Présent ; 2023.